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seul nous délivrer du cauchemar d’un universel mécanisme dont le résultat le plus net serait la douleur. Aussi le mécanisme rationnel de la certitude scientifique tient-il peu de place dans une véritable religion. Historique ou raisonnée, en nous apportant le savoir, une religion semblable nous ôterait la liberté. Ce que le raisonnement nous prouve dans ce domaine, c’est la possibilité de trouver un sens raisonnable à la souffrance dans l’hypothèse de la liberté ; car si toutes nos sensations étaient agréables, la liberté resterait sans emploi, comme si nous ne pouvions faire tort à personne, la moralité n’aurait pas de sens. Nous sommes liés les uns aux autres par l’opposition même de nos intérêts et par la communauté de nos souffrances. Mais cet état de choses est temporaire aussi bien que le mécanisme lui-même, quoiqu’il puisse aboutir à des résultats définitifs. Le dévouement peut être un effet de la liberté, mais par l’habitude il retombe au mécanisme. Alors la liberté a constitué l’individu non seulement dans son entité inconnue, mais dans ses réactions fatales, dans ses dispositions matérielles. En morale comme en religion, il s’agit d’être altéré dans sa forme propre et en temps utile par l’emploi de la liberté. La réalisation libre d’une manière d’être crée seule en nous une réalité qui nous appartienne. Toute autre vérité ne nous appartient pas, nous lui appartenons, ce qui est autre chose.

La mécanique ne se constitue et le mécanisme ne se conçoit que par l’opposition de la force et de la masse. Le mécanisme préside aux fonctions de notre intelligence. Il constitue toute la science en un déterminisme absolu ; mais ce mécanisme ne s’entend point de lui-même et ne se suffit point à lui-même ; l’analyse de ses lois nous contraint d’en sortir et de faire un choix entre les suppositions métaphysiques.

La nécessité d’un commencement conduit à Dieu, le fait de la sensation postule une âme immatérielle, dont la liberté ne se prouve point et ne s’entend point, mais donne seule un sens et un prix à la vie. La vitesse persiste, l’accélération s’éteint, et l’accélération c’est la vie. Que vient-il après ? Nous l’ignorons. Voilà ce qui se dégage de plus clair de notre lecture.

Ce demi-volume ne se comprend pas en le feuilletant, la langue même en est personnelle et veut quelque étude. Il est intéressant de voir comment M. Pellis y sait parler de l’âme et de Dieu, sans prononcer ces mots proscrits. Nous ne l’avons pas résumé, nous n’avons pu que tracer une ligne à travers des pages touffues, et notre analyse est trop incomplète pour fournir une base à des critiques de détail.

Ch. Secrétan.

Léopold Bresson. Études de sociologie : Les trois évolutions intellectuelle, sociale, morale. Reinwald. 1 vol.  in-8o, XVI-472 p.. 1888.

Sous ce titre : Les trois évolutions intellectuelle, sociale, morale, M. Bresson s’est imposé la lourde tâche de résumer pour ainsi dire