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ANALYSES.e. pellis. La philosophie de la mécanique.

la sensation présente doit être attribuée à une unité et cette unité peut être le support d’un acte libre dès qu’on est obligé d’admettre l’existence d’une entité sensitive ; en imaginer une succession liée aux apparences d’un même corps est une hypothèse gratuite.

« Jusque dans la morale et la religion on peut agir mécaniquement. Prendre une habitude, se former une opinion motivée, c’est construire des mécaniques dont le fonctionnement sera de plus en plus facile et pourra même jouer spontanément dans certaines rencontres, comme le ferait une pure combinaison chimique. En une certaine mesure, la morale et la religion sont ainsi des rouages du grand mécanisme universel, un produit de l’arrangement originel des forces et des masses, et une conséquence de la nébuleuse. »

Poursuivre logiquement la mécanique dans la morale et la religion c’est étudier la certitude. L’auteur distingue trois formes de certitude : la forme métaphysique, la scientifique et l’éclectique.

Recherchant l’absolue vérité, la certitude métaphysique constate l’existence de nos états de conscience et ne va pas plus loin. Aussi la métaphysique est-elle le contraire de la certitude, ce qui n’autorise point à la dédaigner. Elle comprend toutes les hypothèses accessibles à l’esprit. Elle interroge la nécessité de penser dont la science a fait sa base et lui conteste un caractère absolu. À son domaine appartiennent l’hypothèse d’un libre arbitre ou de l’intrusion de causes premières dans les mécanismes, la prévision de puissances qui échapperaient à nos sens et réagiraient néanmoins sur le monde, etc. Elle empêche les négations imprudentes, les généralisations mal justifiées. On doit considérer comme incomplet tout esprit exclusivement scientifique, enfermé dans son intuition et son empirisme, aisément oublieux de ce point de départ, dédaigneux des régions illimitées qui entourent la science de toutes parts.

La certitude scientifique repose sur l’idée de loi naturelle et par conséquent n’est qu’un à-peu-près, car un ensemble de faits ne prouve rien hors de lui-même : on ne peut conclure valablement ni d’une chose donnée à une autre chose, ni du passé à l’avenir. Il y faut donc quelque complaisance, il faut oublier que nos évidences ne sont guère que la constatation de nos limites intellectuelles ; cette certitude est pratique : elle nous détermine en toute activité raisonnable, mais elle est sujette à s’abuser sur sa compétence.

La certitude éclectique enfin, pure approbation d’un sentiment ou d’une sensation, dont la grandeur même consiste à défendre ce qu’elle ne peut justifier, se conçoit comme nécessitée ou comme un effet de la liberté. Dans ce dernier cas, une quantité mécanique nouvelle serait introduite dans le monde, et si la liberté ne peut pas agir de cette manière, il ne faut la chercher nulle part. La certitude éclectique ne s’entend pas mieux que la liberté elle-même. Modification d’un être inconnaissable, la réaction de l’acte libre n’est pas perçue, notre vie est la vision de ce qui se réfracte en nous qui restons invisibles. Un tel mode de certitude peut