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des modifications chimiques dans la substance hypothétique du cerveau ; mais identifier ces modifications chimiques à la conscience qui les perçoit, c’est prononcer une parole inintelligible. Il est donc tout aussi loisible, et plus naturel, d’admettre une autre entité, puissance ou substance[1], dont la fonction propre serait précisément de percevoir les modifications cérébrales. Admettant cette entité nouvelle, qui nous introduit en métaphysique, nous dirions que toutes nos perceptions résultent de l’action des forces sur elle. La sensibilité et l’intelligence ont besoin d’un moteur chimique, la pensée vit d’accélérations, l’expérience tend à le prouver, le soleil actionne nos idées ; mais nos idées ne sont pas des vibrations et ne s’expliquent pas sans l’admission d’une autre cause que la cause des vibrations. Si cette chose, qui n’est point force et que notre science n’atteint point, est modifiée en son état par la force, elle doit aussi réagir sur elle et l’on peut admettre que cette réaction s’exerce en plusieurs sens différents. Si notre entité sensitive peut opposer deux états distincts à la force, l’un de ces états peut communiquer un rythme spécial aux forces cérébrales. Ainsi la quantité des forces de l’univers ne serait pas modifiée par la liberté humaine, mais seulement leur direction. — Il est à peine besoin d’observer ici que cette distinction entre une force et la réaction d’une entité sur les forces ne vaut que pour ceux qui ont admis les définitions de l’auteur. Lui-même a soin de nous dire que l’aiguille du chemin de fer ne fonctionne pas sans un aiguilleur. Le sens de sa distinction est évidemment de faire comprendre que la liberté de choix hypothétique s’ajouterait au mécanisme complet de la nature et serait à proprement parler surnaturelle.

Nous ne sommes pas autorisés à nier la possibilité de cette liberté, mais nous ne saurions la comprendre. Tout ce que nous y voyons, dit l’auteur, c’est qu’il est impossible de l’observer dans son exercice : dès que nous avons conscience d’un motif, ce motif devient notre maître et le mécanisme a commencé. Maintenant qu’en faut-il tenir ?

« On peut croire, soit au mécanisme exclusif, soit à la liberté. Si l’on croit au pur mécanisme, ou bien on a raison, mais sans y être pour rien et sans que cela serve à rien ; ou bien on se trompe et on renonce à tort à des efforts possibles. Si l’on croit à la liberté : ou bien on a tort, mais sans y être pour rien et sans qu’il en résulte rien ; ou bien on a raison et on évite d’étouffer pratiquement sa liberté. Le choix n’est pas douteux ; il ne faut pas se décerner à soi-même la qualité de mécanique pure ; il faut croire pratiquement à sa liberté ; il ne faut pas risquer de se tromper pour le seul cas où cette erreur pourrait avoir un sens et une portée[2]. »

La permanence de la mémoire ne prouve pas celle de l’individu, et la permanence de l’individu n’impliquerait pas celle de la mémoire, mais

  1. L’auteur ne prononce jamais ce dernier mot.
  2. Ibid., p. 117.