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et ce trajet, ils le font surtout à travers les couches les plus basses et les plus denses. Mais déjà, avant que le disque ait atteint 7° au-dessus de l’horizon, cette traversée est réduite de moitié ; à 30°, elle n’est plus que de 200 ; à 45°, de 150 kilomètres. On le voit, à mesure que le regard descend, les limites de l’atmosphère reculent avec une vitesse singulièrement accélérée, et les effets de la réfraction sont rapidement multipliés[1].

Par là même, nous sommes plus enclins à croire que la lune décrit, non pas une demi-circonférence, mais, comme l’indique la première figure, un arc de cercle, une courbe analogue à celle qui borne l’atmosphère au-dessus de notre horizon visible, comme si l’astre était lui-même là où ses rayons commencent à subir la réfraction : très éloigné quand il se lève, il semble, ainsi que le calcul l’exige, de se rapprocher de moitié dès les premières minutes ; et comme il ne change pas de diamètre réel, il doit changer de diamètre apparent, et se réduire également de moitié.

Cet accord paradoxal du calcul avec les apparences sensibles confirme bien et précise toutes les précédentes explications. Or ces données de la perception sont imaginaires et toutes fictives : ce ne sont pas les sens qui les imposent à l’imagination, c’est l’imagination qui y condamne les sens. Il y a donc non seulement une logique inconsciente, mais encore une géométrie spontanée et qui, tout en paraissant purement expérimentale, est déjà une construction de l’esprit.

III. — Voici de nouvelles complications, plus dificiles à démêler.

Rougie à l’horizon par la couche d’air et de vapeur que sa lumière traverse, la lune nous paraît d’autant plus grosse. Rougie ou cuivrée, au zénith, par une éclipse, décolorée par un nuage ou un brouillard, la lune nous semble plus petite qu’elle ne le serait sans cet obscurcissement. Un peu avant l’occultation complète, ou un peu après, le croissant lumineux déborde notablement la partie assombrie. De même la lumière cendrée n’emplit pas le cercle compris entre les pointes brillantes. Ici, l’obscurcissement est une cause de diminution ; là, d’augmentation.

Pourquoi cette jurisprudence contradictoire ? Y a-t-il inconsciente partialité et sophisme ignoré ? Sophisme, non, mais interprétation subtile et logique des données sensibles, sous l’empire de préjugés.

Quand la lune est à l’horizon, l’affaiblissement de sa lumière rentre dans le système des raisons qui nous inclinent à la juger plus éloignée. Dès qu’elle s’élève et reprend son éclat, nous sommes frappés surtout de l’irradiation et de l’intensité lumineuse : on sait que les couleurs claires et les vêtements voyants n’amincissent pas les formes. Ainsi plus éloignée, nous la supposons plus grande ; plus éclairée, nous la voyons plus grande points de vue différents.

Mais sans cesser de considérer les distances seules, on peut rendre

  1. Si la couche d’air avait moins d’épaisseur, si la différence entre les rayons des deux sphères concentriques (terre et atmosphère) était moindre, l’accélération serait plus rapide encore.