Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
493
notes et discussions

objets accessibles, pendant qu’elle est peu élevée, c’est que, dépouillée de l’éclat particulier aux astres, elle semble appartenir à notre atmosphère ; et sa clarté nous arrive, semblable à celle de nos lumières artificielles, à travers l’air et les vapeurs.

Aussi tant qu’elle paraît presque à terre, comme un falot rougeâtre, est-elle singulièrement large. Du moment où, plus haute et plus brillante, nous voyons bien qu’elle est au-dessus de notre domaine, et où nous la reléguons dans le ciel, elle est vite amoindrie.

Au point de transition, l’esprit demeure en un curieux embarras. Nous ne savons plus que dire ; nous avons comme deux perceptions qui se recouvrent (AB et CD), et nous passons de l’une à l’autre sans que nous saisissions les dimensions intermédiaires entre un agrandissement notable et un amoindrissement immédiat et définitif de l’astre. Nous sommes partagés, comme devant ces images ambiguës auxquelles un caprice d’imagination ouvre et ferme les yeux.

Ainsi s’explique qu’en isolant et en dépaysant le regard à l’aide d’un cylindre creux, ou derrière un verre noirci (pourvu qu’il dissimule tout ce qui n’est pas l’astre), on réduise brusquement à ses justes proportions le disque le plus démesuré[1]. Ainsi comprend-on que derrière un mur ou une haie l’illusion se produise, sans qu’il soit besoin, comme le pensait Malebranche, de nombreux points de repère : même l’explication de Malebranche n’est pas seulement insuffisante ici, elle est erronée. Supposons la lune à 35° au-dessus de l’horizon : en rase campagne plus d’agrandissement ; mais qu’elle surgisse parmi des branches élevées ou sur un toit, ou mieux encore derrière des montagnes auxquelles l’œil est habitué, la voilà grossie moins sans doute que si elle était plus basse, mais encore d’une façon notable. Supprimez l’écran qui relève l’horizon, ou l’appui qui semble relier l’astre au sol, le charme est rompu, et l’illusion disparue. C’est de cette manière seulement, qu’on réussit, suivant l’élévation de l’écran, à voir avec précision et fixité toutes les dimensions intermédiaires du disque. Il y a donc, dans le sens vertical, comme dans le sens horizontal, des points de repère, qui soutiennent le regard et font pour ainsi dire refluer l’écoulement des rayons visuels.

De la décroissance très prompte de l’astre, il y a encore d’autres raisons. La lune reprend vite sa clarté, ou le soleil ne perd son éclat que quelques minutes avant son coucher. Ces changements si brusques sont bien propres à nous déconcerter et nous imaginons volontiers de grandes différences de dimension et d’éloignement : de quoi dépendent-ils ? Supposons que l’enveloppe atmosphérique ait une épaisseur de 100 kilomètres. Les rayons horizontaux qui, au lever de l’astre, pénètrent obliquement dans ce milieu réfringent, ont à y parcourir environ 1100 kilomètres,

  1. Il est remarquable que si l’on considère d’abord librement puis à travers un cylindre creux, un arbre éloigné ou tout autre objet saillant à l’horizon, les dimensions ne varient point.