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ment en tant qu’elles s’appliquent aux astres, puisque précisément elles sont valables en tant qu’elles ne s’y appliquent pas. Sinon, l’on ne réussit plus à expliquer par exemple pourquoi, en l’absence de tout point de repère, derrière un mur, la lune apparaît toujours énorme. Il faut donc recourir à tout un ensemble d’habitudes intellectuelles pour rendre compte de l’illusion, car elle résulte d’un polysyllogisme inconscient, dont les prémisses sous-entendues ne sont concluantes qu’à la condition d’être universelles.

II. — D’autres singularités méritent examen, et concourant avec les précédentes causes d’erreur, au lieu de les corriger parfois, ne font jamais que les aggraver.

Pourquoi la lune reprend-elle, peu après son lever, ses dimensions normales et comment son diamètre apparent reste-t-il à peu près constant pendant plus des deux tiers de sa course ? C’est que seuls les quelques degrés qui s’élèvent au-dessus de l’horizon ont pour nous une extrême importance ; tandis que, dans le haut du ciel, qu’importent dix degrés de plus ou de moins ? Ce qui nous intéresse directement se passe dans cette mince zone : au fond de la chambre noire, on est toujours surpris de la voir si étroite[1] ; notre regard ne la dépasse que par exception et en faisant presque violence à l’attitude naturelle de la tête ; et, puisque notre vie y est contenue, nous l’élargissons sans mesure. Nous l’avons explorée, le toucher s’y est associé avec la vue ; en nous approchant des objets, nous avons apprécié leur taille ; et alors même que nous les apercevons de loin, l’imagination leur restitue leur vraie grandeur : il suffit qu’ils semblent accessibles pour que nous les grossissions ; car alors l’image tactile supplante l’image visuelle. Au plafond d’une chambre obscure, deux étincelles séparées par 20 centimètres ne paraîtront pas plus éloignées que deux étincelles séparées par 16 centimètres, si elles sont produites non plus 3 mètres au-dessus, mais 3 mètres à côté de l’observateur, au niveau de ses yeux, et comme à la portée de sa main[2].

Ce qui contribue encore à nous faire ranger la lune au nombre des

  1. De même au retour des montagnes, l’habitant des plaines s’étonne du peu de place qu’occupent ses coteaux.
  2. M. Stroobant, qui a imaginé cette expérience, sans en expliquer les résultats, montre ainsi (non mutatis mutandis) que la direction du regard contribue environ pour moitié (20 ou 25 %) à l’accroissement de l’astre. Cet agrandissement est à peu près d’un demi : 50 %. L’expérimentateur a donc simplifié l’illusion, dans un cas particulier, il n’en a nullement rendu compte. Comment se fait-il que les étincelles, pour paraître également espacées, doivent être plus distantes au-dessus qu’à côté de nous ? Ou ne pourrait partir de ce fait, s’il demeurait inexpliqué, pour expliquer un autre fait analogue. Quant à prétendre avec M. Léchalas que M. Stroobant établit, par ses expériences, que l’illusion est due à une cause physiologique, cette affirmation est toute gratuite et inexacte. — Pense-t-il que, dans une opération aussi complexe que l’appréciation de plusieurs grandeurs, l’on ne doive considérer que l’acte tout extérieur de lever ou de baisser la tête ?