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notes et discussions

se fortifient l’une l’autre, c’est une habitude très générale et très invétérée d’étendre et d’abaisser la voûte céleste. Pour l’observateur placé en 0, la surface courbe qui paraît limiter la vue n’est pas ACDB ; elle est MGHN. Il en résulte que si la lune est à l’horizon en AF, nous lui attribuons un diamètre RS. Si elle est au zénith, en CD, l’angle visuel, a, restant à peu près le même, nous arrêtons plutôt le regard, le diamètre n’est plus que GH[1]. En d’autres termes, nos yeux voient la lune

[Image à insérer]

presque égale à elle-même dans toutes ses positions’; à l’horizon, notre imagination la voit plus éloignée ; notre esprit la voit plus grosse.

Il semble paradoxal qu’un objet que l’on croit plus lointain, soit estimé plus vaste. Mais il ne faut pas oublier les prémisses du raisonnement ; il faut suivre toutes les subtilités inconscientes de l’esprit : le diamètre apparent reste le même dans tous les cas ; et c’est cette impression identique, cette donnée constante, qu’il est nécessaire d’interpréter, alors que nous pensons être placés en face de circonstances différentes : tant il est vrai que l’erreur est tout intellectuelle. Et ce qui la rend invincible, c’est que, d’abord, tout ce travail de l’esprit est irréfléchi ; c’est aussi parce que l’illusion est recouverte et comme protégée par une inférence irréprochable : la conclusion, seule partie consciente du raisonnement, s’appuie immédiatement sur un jugement juste : « De deux objets qui ont même dimension apparente, le plus éloigné a la plus grande dimension réelle. » Pour découvrir et corriger l’erreur, il faudrait descendre plus bas dans la couche des raisonnements implicites ; il faudrait percevoir ceci : « La lune est aussi éloignée de nous dans toutes ses positions : on ne doit pas confondre le monde sidéral avec le monde atmosphérique et terrestre. » Or, comment, pour un cas unique, nous mettre, sans preuves, en contradiction avec le système entier de nos expériences ?

Tel est donc le mécanisme de l’illusion : rectification très logique d’une hypothèse fausse, formée à l’aide de données généralement vraies ; et cela, en dehors de toute réflexion.

On voit qu’il ne suffit pas d’invoquer isolément, comme on l’a fait, quelqu’une des causes de l’erreur, ni surtout de les considérer seule-

  1. Comme l’illusion est tout imaginaire et qu’elle dépend de causes nombreuses, il est impossible d’indiquer avec une précision mathématique l’agrandissement relatif du disque lunaire : c’est affaire d’appréciation, non de mesure.