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cristallin de la rétine : l’image serait rétrécie. Mais le cristallin, solidement fixé par le muscle ciliaire, et baignant entre des liquides incompressibles, ne saurait subir un déplacement appréciable, dès le moindre mouvement. Est-on du reste obligé de rejeter la tête en arrière, pour diriger le regard à 50 ou à 60° au-dessus de l’horizon ? De plus, la mesure des images accidentelles[1] (qu’elles aient été formées par l’astre au zénith, ou par l’astre à son coucher) montre que, dans tous les cas, l’image rétinienne reste égale à elle-même : c’est la preuve que la différence des perceptions résulte de l’imagination seule.

En un mot, pour un appareil enregistreur, sur la plaque photographique, sur la rétine, la lune est un peu moindre à l’horizon qu’au zénith : pourquoi la percevons-nous beaucoup plus grosse ?

Sans revenir sur l’histoire de ce petit problème, voici, semble-t-il, comment on peut le résoudre. On va voir par quelles causes étroitement combinées, par quelles associations d’inférences s’explique notre illusion, toute simple en apparence, en réalité fort complexe.

I. — Nous n’imaginons pas la « voûte du ciel » comme une demi-sphère complète, mais seulement comme une calotte. Pourquoi ? les raisons sont nombreuses. — Nous nous mouvons en long et en large, non de bas en haut ; et nous mesurons le monde à nos habitudes. — Les nuages ou les oiseaux qui passent sont en effet plus rapprochés de nous, s’ils sont au-dessus de nos têtes, et leur éloignement augmente à mesure que le regard qui les suit descend vers l’horizon. — Faute de points de repère, les distances horizontales paraissent toujours plus longues que les distances verticales, ou tout ou moins, en les appréciant, nous sommes exposés à de plus graves erreurs. — La position normale de la tête dirige le regard plutôt en bas qu’en haut ; et le champ de la vision s’étend, sans gagner en hauteur. — Le son, refoulé par le sol, court à terre ou monte, mieux qu’il ne descend ; et, parce qu’il se produit d’ordinaire dans les régions inférieures, le monde sonore, comme le monde visuel, comme le monde du toucher, se développe surtout en long et en large, mais nullement sous nos pieds, et peu sur nos têtes.

Pour toutes ces raisons et pour d’autres encore qui s’enchaînent et

  1. On connaît les expériences de Plateau et de M. Stroobant. Après avoir fixé quelque temps l’astre, on se tourne rapidement vers un mur éclairé, pour y projeter l’image accidentelle sombre du disque ; cette image négative varie avec la distance de l’objet où on la projette ; pour qu’elle soit égale à l’image directe, il faut se placer à une distance constante du mur qui la reçoit. Or, quand l’astre est au zénith, le premier regard est vertical, le second horizontal ; quand il est à l’horizon, l’un comme l’autre reste horizontal. Cette différence de position n’a aucune conséquence. — M. Stroobant prétend que ces expériences condamnent les explications fondées sur l’éloignement apparent et variable des astres, puisque, dans tous les cas, l’œil les voit à une même distance. Il y a là un vice de raisonnement : l’apparence n’est pas pour les yeux, elle est pour l’esprit. Encore une fois, l’erreur ne dépend pas des données physiques, elle ne résulte pas de l’impression ; elle est toute dans l’interprétation que nous faisons de ces données.