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L’étude de ce qui se passe dans les conditions ordinaires de la vision chez M. C… éclaircit ce point. Nous avons remarqué que, lorsque M. C… n’astreint pas son œil à une immobilité absolue, il n’a pas conscience qu’il ne voit pas les objets dans la moitié latérale droite de son champ visuel ; et nous avons vu que cette illusion s’explique par le fait que les images perçues dans la moitié gauche sont extériorisées dans la moitié droite, et remplissent la lacune hémianopique. C’est dans l’étude de cette curieuse extériorisation, qui est fausse en elle-même, mais exacte dans son résultat, qui, comme dirait M. Taine, nous trompe pour nous instruire, c’est dans cette étude, nous le répétons, que se trouve la clef du problème.

Lorsque l’œil est immobile dans l’orbite, toute impression faite sur une portion quelconque de la rétine est reportée au dehors, suivant la ligne qui part du point excité, et qui traverse le centre de la pupille : il en résulte que, si c’est la moitié droite de la rétine qui est excitée, nous localisons la source lumineuse à gauche ; si c’est la moitié gauche, nous localisons à droite, et ainsi de suite. On peut facilement constater le fait au moyen des phosphènes développés par la pression oculaire ; si nous exerçons avec la pulpe du doigt une légère pression sur notre paupière baissée, et que cette pression soit faite du côté du nez, nous provoquons ainsi l’image d’un cercle lumineux qui nous paraît situé en dehors, vers l’angle externe de l’œil.

On appelle champ visuel l’espace compris entre les lignes visuelles extrêmes. Chaque point du champ visuel a donc son correspondant sur la rétine ; l’extériorisation d’un objet dans le champ visuel dépend de la position de son image sur la rétine, elle est fondée uniquement sur la qualité, sur le signe local de la sensation rétinienne ; de plus, le champ visuel se déplace avec l’œil et suit tous ses mouvements.

Tel est le champ visuel ; il existe, avons-nous dit, pour la mémoire, un autre champ visuel, qu’on peut appeler, pour le distinguer du précédent, le champ de la représentation. Les yeux fermés, nous avons une vision panoramique des objets qui nous entourent et de leur position par rapport à nous. Je suis en ce moment assis à ma table de travail ; je sais qu’à main gauche se trouve une fenêtre, en face de moi une porte, un peu plus à droite une bibliothèque, etc. Cette représentation, qui m’apparaît si clairement, lorsque j’ai les yeux fermés, ne s’évanouit pas complètement quand j’ai les yeux ouverts ; elle s’obscurcit un peu, mais elle est toujours présente.

En effet, le champ visuel de la vision binoculaire n’embrasse qu’un certain nombre d’objets ; les objets situés en arrière de notre tête nous sont complètement invisibles ; mais nous pouvons nous les représenter dans notre souvenir. On peut donc dire que le champ de la représentation est plus étendu que le champ visuel ; on pourrait même, en usant d’une comparaison, considérer le champ de la représentation comme une grande surface et le champ visuel comme un faisceau lumineux, qui parcourt cette surface et en éclaire successivement les di-