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notes et discussions

M. C… de regarder attentivement, pendant quelques minutes, une bande de papier coloré ; le malade regarde fixement le centre de la bande ; la moitié gauche lui apparaît avec sa couleur réelle, la moitié droite reste invisible. Au bout de quelque temps, le malade reporte les yeux sur une feuille blanche ; il y aperçoit alors une image consécutive qui reproduit la forme de la moitié visible de la bande, avec la couleur complémentaire ; quant à l’autre moitié, qui n’a pas été perçue, elle n’induit dans le champ visuel obscur aucune image consécutive. L’expérience a été faite avec plusieurs couleurs différentes ; et le malade s’y est prêté avec beaucoup de complaisance, malgré la fatigue extrême qu’il en ressentait toujours le même résultat a été obtenu. Si nous employons encore une fois la formule qui nous a servi plus haut, nous pouvons conclure en disant que le champ visuel de l’image consécutive, chez M. C…, à la différence du champ visuel du souvenir et du rêve, est atteint d’hémiopie, comme le champ visuel de la vision extérieure.

Nous ne sommes pas en mesure d’expliquer le fait précédent. On peut imaginer, à ce sujet, trois hypothèses principales :

1o Les sensations et les images consécutives n’ont pas le même siège cérébral que les images mentales du souvenir et du rêve. C’est l’hypothèse soutenue par M. Taine (Intelligence, t.  I). En l’acceptant, on comprend facilement que le centre affecté aux sensations soit détruit par une lésion respectant le centre visuel de la mémoire.

2o Les sensations, les images consécutives et les images mentales ont leur siège dans le même centre ; mais ce centre n’est pas lésé chez M. C… : il s’agit dans ce cas d’une lésion de conductibilité, qui empêche l’excitation périphérique d’arriver jusqu’au centre. On peut expliquer ainsi que les impressions d’origine périphérique, les sensations proprement dites et les images consécutives, sont supprimées dans la moitié droite du champ visuel, tandis que les images mentales restent emmagasinées dans le centre intact et conservent la faculté de revivre.

3⁰ Enfin, on peut faire une troisième hypothèse, qui nous paraît préférable aux deux précédentes. Tout d’abord, la sensation, l’image consécutive et l’image mentale ont le même siège. C’est là un fait qui paraît démontré par tant d’expériences qu’on ne saurait le révoquer en doute sur la foi d’une seule observation. Au reste, on peut, tout en supposant qu’il existe un seul centre pour tous ces divers phénomènes visuels, arriver à expliquer d’une manière satisfaisante les symptômes présentés par M. C…

Bien qu’on ignore complètement l’organisation intérieure du centre nerveux de la mémoire visuelle, on peut supposer, avec beaucoup de vraisemblance, qu’une moitié de ce centre correspond à la moitié de la rétine, et que, dans l’hémianopsie de cause corticale, la moitié du centre visuel est mise hors de service.

La question serait donc de savoir comment une moitié peut arriver à suppléer l’autre dans la vision mentale et dans le rêve, et non dans la production de l’image consécutive.