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notes et discussions

Ce qu’il y a de curieux, c’est que cette synthèse, qui s’opère dans la représentation mentale, ne se produit pas dans la perception, lorsque le malade tient son regard immobile. Dans ces conditions, M. X… a toujours conscience qu’une moitié de son champ visuel est détruite ; cette lacune énorme n’est pas remplie par des images mentales. On peut remarquer aussi que, d’après le témoignage du malade, la lacune ne présente pas de couleur ; elle n’est pas obscure, noire ; le malade dit qu’elle lui donne l’impression du néant.

Les auteurs ont constaté chez les hémianopsiques un fait très intéressant que nous avons retrouvé chez M. C… c’est que ce trouble visuel peut exister un certain temps sans que le malade en ait conscience ; il en est de l’hémianopsie comme de l’anesthésie hystérique par exemple, qui bien souvent reste inconnue au malade jusqu’au jour où le médecin fait un examen méthodique de la sensibilité cutanée et l’on peut même ajouter en passant que, lorsque l’examen de la sensibilité se fait sous les yeux de l’hystérique insensible, celui-ci, voyant l’épingle qu’on enfonce dans sa peau, peut s’imaginer sentir, et ressent une douleur imaginaire qui lui fait croire que sa peau est sensible. En ce qui concerne l’hémianopsie, le trouble ne se révèle chez certains malades que par l’examen campimétrique ; d’autres reconnaissent spontanément le trouble visuel dont ils sont atteints, à un moment décisif, où ils regardent fixement un objet, l’œil immobile. Ainsi, un malade de Charcot veut un jour jouer au billard ; l’attaque d’apoplexie, à la suite de laquelle il avait été frappé de cécité verbale, datait alors d’un mois ; le malade s’aperçut presque aussitôt de l’impossibilité où il était de jouer, et cette impossibilité tenait à ce que, du côté droit, le champ visuel était pour l’un limité au point qu’il ne voyait que la moitié du tapis vert, la moitié de la bille, et qu’il perdait de vue les billes dès que celles-ci entraient dans la partie droite du champ visuel. Chez M. C… le fait s’est passé différemment. Le malade n’a pas eu connaissance de son hémianopsie jusqu’au moment où il est allé consulter un médecin oculiste, qui lui a révélé le trouble dont il était atteint ; le malade s’est rendu chez un oculiste, parce qu’il s’apercevait qu’il ne pouvait plus lire (cécité verbale) et il s’imaginait que son acuité visuelle avait brusquement diminué ; le premier médecin qu’il consulta, peu expert en ces matières, lui conseilla simplement de mettre à ses lunettes des verres plus forts.

Aujourd’hui, M. C… a étudié avec beaucoup de soin, pour s’en rendre compte, la nature et l’étendue de son hémiachromatopsie ; cependant il n’a pas directement conscience de l’existence de cette lacune lorsqu’il n’astreint pas son regard à une certaine fixité. Dans les conditions ordinaires de la vision, c’est-à-dire lorsque l’œil, toujours mobile, passe rapidement d’un point à un autre, M. C… ne s’aperçoit pas que la moitié de son champ visuel lui manque ; il a seulement la sensation subjective que sa vue est un peu troublée. Nous verrons que ce fait présente un grand intérêt au point de vue psychologique. Pour le moment, nous nous contenterons de remarquer que la lacune du champ visuel se remplit,