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les philosophies du droit et de l’histoire des classifications ayant un caractère absolu. Ces tentatives étaient faites par des esprits souvent très distingués, mais peu versés dans la critique de la connaissance. Rappelons, seulement pour mémoire, la fameuse loi des trois états, inventée par A. Comte, en imitation d’autres classifications, tout aussi arbitraires, léguées par l’antiquité. Au fur et à mesure que les sciences morales progressent, elles tendent à affirmer leur indépendance. Plus leurs méthodes deviennent rigoureuses, plus elles s’éloignent de la physique.

Nous remarquerons ici que la psychologie expérimentale a pris, dans ces dernières années, une importance qu’on ne lui soupçonnait pas. Bien loin que la médecine ait conquis du terrain, depuis que l’on étudie, avec plus de précision, le système nerveux, elle en a beaucoup perdu, aux dépens de la psychologie. L’étude des maladies mentales, notamment, appartient aujourd’hui, sans conteste, aux philosophes. Y a-t-il rien de plus déplorable que les dissertations des aliénistes, quand, chez eux, le médecin n’est pas doublé d’un psychologue ? Le matérialisme a, de tout temps, abusé de la causalité physique et, depuis les magnifiques progrès de la mécanique rationnelle, il oppose continuellement la détermination mathématique aux conceptions des psychologues. Bien des tentatives ont été faites pour essayer de réduire les difficultés. Quelques esprits brillants ont cru devoir sacrifier dans ce but ce qui était acquis dans la science mécanique : c’est là certainement un des plus tristes effets des confusions que nous combattons.

Il est clair qu’il n’y aurait rien à dire contre le déterminisme, si tout dans le monde se réduisait à la triade mécanique (espace, temps, masse). Mais il n’en est pas ainsi. En physique, cette triade est impuissante à tout expliquer : i nous semble qu’il faut faire intervenir d’autres principes ; il est vrai que ces nouvelles causes sont susceptibles de se traduire aussi par des définitions géométriques. Mais, dans la biologie, nous avons dit que l’algèbre perd ses droits ; que serait-ce donc pour les sciences morales ?

Nous pensons que, pour étudier à fond la thèse de la causalité, il faut procéder comme nous l’avons fait : interroger les sciences et leur demander par quelle méthode elles arrivent à la connaissance. Cette manière de procéder n’est pas nouvelle. En opérant comme nous le faisons, on arrive à séparer très nettement les sciences et on évite les confusions qui, sans cela, ne tardent pas à corrompre l’esprit, en l’engageant dans des voies sans issue. Si nous ne nous trompons, la solution du problème du déterminisme dépend tout entière de ce genre de recherches.

G. Sorel.