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G. SOREL.de la cause en physique

penser que l’ancienne conception de la limitation de l’espace est nécessaire à la physique moderne. En admettant que le problème soit bien posé, l’objection ne porterait pas contre notre théorie : on serait condamné à n’avoir jamais de solutions rigoureusement exactes. La définition de la science d’après A. Comte serait évidemment atteinte, puisqu’on ne pourrait jamais substituer le calcul à l’expérience directe. La causalité prévisionnelle n’existerait pas. Mais cela n’atteint pas notre principe, tout au contraire, puisque nous soutenons que, dans le flux des choses, on ne peut connaître que les schèmes et non la totalité du phénomène.

Le principe de l’action mutuelle de toutes les substances a été posé par Kant : c’est la 3e analogie de l’expérience. Personne ne pourra soutenir sérieusement que sa démonstration soit solide. En prenant cette loi dans le sens strictement littéral, il n’y aurait plus de science possible, puisque les causes s’enchaîneraient à l’infini. Depuis Aristote on ne peut plus admettre ce sophisme, que le philosophe a victorieusement combattu, comme étant la négation de toute connaissance scientifique.

À moins de s’enfoncer dans le domaine de la pure imagination, il faut baser la critique de la connaissance sur l’étude des procédés employés pour connaître. Si on ne fait pas les distinctions que nous avons faites, on risque fort de s’égarer. Sans doute, le nombre des cas où l’on peut parvenir jusqu’aux genres simples, jusqu’aux causes vraiment pures, est assez petit. Il est essentiel de distinguer les classifications naturelles, peu nombreuses encore, des classifications artificielles. On peut généralement le faire en physique ; aussi l’étude de la physique est-elle particulièrement bonne pour étudier le principe de la causalité.

IX

Il y a une autre thèse tout à fait opposée à celle que nous venons de discuter. Beaucoup de bons esprits croient qu’on pourrait appliquer à toutes les connaissances les règles de la causalité physique. C’est là, certainement, une erreur très grossière.

Le danger de cette généralisation est très grand. Non seulement on s’expose à poser, en éthique, des théories tout à fait arbitraires et très dangereuses ; mais, encore, on est obligé d’abandonner une partie du terrain conquis dans la science de la nature, de réduire la précision des formules mécaniques et d’émasculer, en quelque sorte, les méthodes. Cette généralisation corrompt non seulement l’éthique, mais encore la physique. Pendant longtemps, l’esprit humain a manqué de guide sûr dans cette matière : on a cru pouvoir poser dans