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G. SOREL.de la cause en physique

Voici un autre exemple : A. Comte veut essayer de fonder les classifications psychologiques sur quelque chose de précis. Il a évidemment raison en principe ; mais par quelle aberration peut-il accepter les idées fantastiques de Gall ? Si la phrénologie était une science, elle serait très utile pour l’étude des causes, puisqu’elle permettrait de classer avec sûreté ; mais il ne faut pas prendre ses désirs pour des réalités.

Les classifications artificielles ont une si grande importance, dans l’étude de la nature, qu’il faut rechercher sur quelles bases elles s’appuient. Si les choses se suivaient d’une manière tout à fait continue dans le monde, il est clair qu’il n’y aurait pas de classifications artificielles possibles, puisque les groupes n’apparaîtraient pas. Il est loin d’en être ainsi et rien n’est plus faux que l’adage : « natura non facit saltus ».

En réalité, les phénomènes se groupent et se réunissent, d’après un certain air de famille. Dans les groupes, les êtres les plus nombreux se rapprochent d’un type moyen ; ceux qui s’éloignent beaucoup de cette forme sont extrêmement rares. Il est donc possible, presque toujours, de former des classifications, très utilisables pour les besoins du raisonnement. Il est même quelquefois permis de raisonner sur le type moyen comme sur un être réel. Dans ce cas, on peut appliquer à cette individualité fictive des raisonnements qui rappellent complètement ceux de la physique. Le nombre peut ainsi trouver une application exceptionnelle dans ces études, où il n’a plus sa place marquée, d’après les principes purs de la science.

La classification que fait le vulgaire est toujours artificielle. Il faut un esprit scientifique pour arriver à la définition véritable. À vrai dire, il n’y a pas de définition dans le sens où on la demande le plus souvent. Une brique est, pour le maçon, un corps rectangulaire, formé d’argile cuite et propre à la construction avec le mortier. Ce n’est plus là une définition ; il y a autant de définitions que d’ordres scientifiques : le géomètre ne voit dans la brique qu’une figure ; le physicien en étudiera le poids, la couleur, la conductibilité, etc. ; le chimiste, la composition, etc. Autant de branches, autant de définitions.

Les définitions que l’on donne ordinairement des objets sont celles qui servent pour l’usage courant. Le maçon ne sait pas grand’chose de la brique, au point de vue scientifique ; mais, pour lui, elle est cause de la construction, et c’est au point de vue de la construction qu’il la définit.