Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
G. SOREL.de la cause en physique

sance ; ils se demandèrent, tout naturellement, s’ils ne suffisaient pas pour la science du monde.

Il est très difficile à l’esprit humain de séparer les schèmes de la réalité. Les Grecs crurent qu’ils avaient affaire à des êtres beaucoup plus réels que ceux qui tombent sous nos sens, puisque, seuls, les schèmes sont susceptibles d’être connus scientifiquement et qu’ils ne subissent ni la variation ni la mort.

Aristote a beaucoup disserté contre ses prédécesseurs à ce sujet ; il a, pour toujours, détruit leurs illusions. Toutefois, il n’a pas échappé, lui-même, à l’erreur, et encore aujourd’hui beaucoup de savants s’y laissent entraîner. Les phénomènes célestes sont ceux où les mouvements sont les plus simples et les plus vastes. Le Stagyrite crut qu’ils offraient la réalisation des schèmes purs ; il donna aux astres une nature divine. Il lui semblait que leur étude était débarrassée de tous les accidents terrestres et il disait[1] : « On ne doit chercher la vérité que dans les choses qui sont éternellement les mêmes et qui ne subissent jamais le moindre changement. » Il est de fait que c’est l’étude du mouvement des planètes et des lois de Képler qui a permis à la mécanique rationnelle de se constituer ; mais le premier résultat que l’on tire de la formule de Newton (déduite des lois de Képler), c’est que les lois de Képler ne sont pas rigoureusement exactes.

Les modernes ne croient plus à la divinité du ciel, mais beaucoup d’entre eux ne peuvent se résoudre à abandonner la foi aux atomes, ces êtres immortels, non susceptibles de déformation, qui sont comme de petits dieux, voltigeant dans l’espace et formant les corps, que les sens nous apprennent à connaître. C’est là une construction purement schématique (d’une utilité, d’ailleurs, bien douteuse) que l’on transporte dans la réalité, en la défigurant.

Lorsqu’au commencement du siècle Coulomb chercha à formuler les lois de l’électricité, il fut, naturellement, amené à supposer que cette partie de la physique ne devait pas échapper à la règle newtonienne. Par de remarquables expériences, il montra que les phénomènes pouvaient très bien s’expliquer, en supposant des fluides, dont les parties s’attirent (ou se repoussent) suivant la loi de l’attraction universelle. N’était-ce pas encore une illusion, tout à fait semblable à celle que nous venons d’examiner ?

Le système de Coulomb est conservé, avec raison, dans l’enseignement élémentaire, parce qu’il est extrêmement commode, pour donner un peu de précision aux idées et pour amener l’esprit, par voie d’analogie, à découvrir beaucoup de théorèmes importants. Il

  1. Métaphysique, livre XI, chap.  VI, §  5.