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On est encore embarrassé lorsqu’on peut opérer sur des éléments séparés. Le géomètre, qui n’étudie que les longueurs et les surfaces, ne saurait cependant les représenter et les mesurer exactement. De temps à autre, on voit des gens qui veulent, physiquement, trouver la quadrature du cercle, en pesant des ronds de métal. Partant de ce qu’il y a une loi et de ce qu’on peut négliger les petites erreurs, ils donnent une expression simple du rapport de la circonférence au diamètre. Ils croient très naïvement avoir appliqué la pure méthode expérimentale. Leur méthode est empirique et non scientifique. Nous ne voyons pas trop ce que les disciples d’A. Comte auraient à opposer à leur manière de faire.

IV

La science ne travaille pas sur les phénomènes et sur les quantités que l’expérimentateur mesure, elle opère sur autre chose, sur des schèmes. Son champ d’action est en dehors de toute réalisation matérielle possible. Les mécanismes de la mécanique rationnelle sont de pures constructions schématiques.

Aristote dit fort bien[1] : « Le mathématicien ne considère, dans ses théories, que des abstractions, puisque c’est en retranchant toutes les conditions sensibles qu’il étudie les choses. Ainsi il ne tient compte ni de la légèreté, ni de la dureté des corps, ni des qualités contraires… Il ne conserve que la quantité et le contenu, ici en une seule dimension, là en deux, ailleurs en trois, et les affections propres de ces quantités, en tant qu’elles sont quantitatives et continues ; il ne regarde absolument rien autre. »

La nécessité des schèmes s’est fait sentir dès l’origine de la spéculation philosophique. Il nous semble que leur recherche a eu pour principe le système d’Héraclite sur le flux perpétuel des choses.

Aristote, parlant de ses prédécesseurs, dit[2] : « Ils concluaient que, si la science de quoi que ce soit et la compréhension des choses sont possibles, il faut, de toute nécessité, qu’à côté des natures que nos sens attestent, il y en ait d’autres qui soient permanentes et stables, puisqu’il ne peut pas y avoir de science de ce qui s’écoule et fuit sans cesse.

Les anciens reconnurent tout d’abord les nombres et les entités géométriques. Ce sont là des éléments tout à fait purs de la connais-

  1. Métaphysique, livre XI, chap.  III, §  6.
  2. Métaphysique, livre XIII, chap.  iv, §  1.