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G. SOREL.de la cause en physique

faire des catalogues, des classifications ; si on appelle A une cause, c’est qu’on entend ce mot comme synonyme du mot genre.

Dans toutes les recherches purement scientifiques, le problème de la cause est identique à celui de la classification par genres. La mauvaise définition, donnée par la plupart des physiciens, ne produit d’ailleurs aucun résultat fâcheux dans la pratique. Il ne faut pas, en effet, s’arrêter, plus que de raison, aux définitions dans les sciences ; les définitions ne sont guère que des hors-d’œuvre, qu’on se croit obligé de présenter au lecteur ; mais l’étudiant passe outre, sans s’arrêter à déchiffrer les inscriptions du portique.

Pour bien montrer la véritable position du débat, nous prendrons un exemple très simple. L’ancienne médecine demandait pourquoi l’opium fait dormir. Elle voulait une cause, qu’elle plaçait, le plus souvent, dans quelque qualité occulte. Le physiologiste moderne procède autrement, parce qu’il ne se pose pas le même problème. Il opère par division ; il recherche, d’abord, par l’expérience, les corps, chimiquement purs, qui sont ensuite étudiés séparément. Il relève les phénomènes du sommeil, sous l’influence de chacun des alcaloïdes ; il découvre sur quels organes ils agissent, et quel genre d’excitation ils produisent lorsque le sommeil a lieu. Quand tout cela sera parfaitement élucidé, nous aurons beaucoup analysé, catalogué, énuméré ; le physiologiste croira avoir donné la cause du sommeil. L’ancienne médecine dirait qu’il n’a rien fait, car il n’a pas dit pourquoi l’opium fait dormir[1].

La méthode moderne est celle d’Aristote ; il se posait le même problème et le traitait comme nous, quand il disait à propos du sommeil : « Dans quelle de ses parties l’animal est-il affecté ? quelle est cette partie qui est affectée la première ? Mais encore pourquoi cet organe est-il affecté ? quelle est l’affection propre de cet organe qui n’est pas l’affection de l’animal tout entier[1] ? »

Le problème scientifique du pourquoi et de la cause a été parfaitement exposé par le philosophe dans plusieurs passages, dont nous croyons devoir citer des extraits. Il remarque[2] qu’il ne s’agit pas de savoir pourquoi une chose est, mais pourquoi « telle chose est à telle autre chose ; c’est qu’une chose est indivisible, par rapport à elle-même. Quant au fait même que la chose est à telle chose, il doit être évident et, sans cette condition, il n’y a pas de recherche possible. Il est évident que ce que l’on cherche alors, c’est la cause, en

  1. a et b Metaphysique, livre VIII, chap.  IV, §  9. Toutes les citations d’Aristote que nous faisons ici, sont empruntées à la traduction de M. Barthélemy Saint-Hilaire.
  2. Métaphysique, livre VII, chap.  xiii.