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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

incertaine. On n’ébranle pas la vérité d’une science, par exemple de la morale, en montrant que son objet comme science est restreint, ou qu’elle renferme des postulats. « Au contraire, restreindre une science, c’est souvent lui donner un plus grand caractère de certitude : la chimie est une alchimie restreinte aux faits observables. » — Mais, si la morale ainsi conçue et restreinte conserve sa vérité, conservera-t-elle son autorité, son caractère impératif ? — Évidemment non. C’est ce que Guyau reconnaît encore et accepte. Pourquoi tenir tant à n’être bon que suivant une loi ? Pourquoi voulez-vous être généreux par commandement, dévoué par ordre, aimant par consigne ? Pourquoi voulez-vous que la catégorie suprême soit celle de loi, au lieu d’être celle de bonté ? Ce bien est bon parce qu’il est le bien, et non parce qu’il est commandé. Il y a un idéal supérieur qui satisfait notre pensée et notre sentiment ; ne demandez rien au delà. — Mais si je ne suis pas touché de cet idéal ? — Si vous n’en êtes pas touché, est-ce donc une loi impérative qui pourra faire que vous en soyez touché ?

Deux points ressortent du livre de Guyau sur la morale sans obligation ni sanction, — le seul essai sérieux et original de construction éthique que nous ayons encore en France au point de vue évolutionniste : d’une part, la morale naturaliste et positive ne fournit pas de principes invariables et absolus, soit en fait d’obligation, soit en fait de sanction ; d’autre part, si la morale idéaliste peut en fournir, c’est, selon lui, à titre purement hypothétique, non assertorique. « En d’autres termes, ce qui est de l’ordre des faits n’est point universel ; et ce qui est universel est une hypothèse spéculative, or, d’une hypothèse ne peut descendre une loi ; il en résulte que l’impératif absolu, en tant que loi absolue et catégorique, disparaît des deux côtés. » Guyau déclare accepter pour son propre compte cette disparition, et au lieu de regretter la variabilité morale qui pourra en résulter en certaines conjonctures, il la considère au contraire comme « la caractéristique de la morale future ». Celle-ci, sur une foule de points, ne sera pas seulement αὐτόνομος, mais ἄνομος.

Cette doctrine si originale neuve et si approfondie pourrait sembler un paradoxe aux esprits superficiels ; c’est cependant la conclusion logique de tout système qui n’attribue à la métaphysique qu’une valeur hypothétique et qui ramène ainsi la morale à des faits suivis d’hypothèses ; car la théorie kantienne d’une loi formelle se suffisant à elle est bien difficile à soutenir. Selon nous, il n’y aurait qu’un moyen de rendre la morale moins hypothétique en ses fondements et moins an-archique en ses applications. Ce serait de montrer qu’il y a 1o des certitudes, les unes négatives, les autres positives,