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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

fins, au lieu de se manifester par la subordination de nous-mêmes aux fins universelles. En un mot, il y a deux directions possibles de l’activité intensive : la direction centripète et la direction centrifuge. Il eût fallu, par un théorème spécial, établir plus expressément que la direction vers autrui est le seul moyen de maintenir la vie individuelle dans son maximum d’énergie à la fois intensive et féconde.

À vrai dire, le critérium de la quantité semble pratiquement insuffisant en morale, et la considération de qualité paraît inévitable pour qualifier les actes. Pour celui qui irait au fond des choses, il y aurait sans doute identité fondamentale, comme Guyau l’admet, entre l’activité la plus intense quantitativement et l’activité la plus développée qualitativement ; mais, n’ayant point de mesure quantitative pour la vie, nous sommes obligés de la régler par des considérations de qualité.

Enfin, dans le domaine même de la quantité, il peut y avoir antinomie entre l’intensité actuelle et la durée future de la vie : on peut être, par exemple, dans cette alternative : abaisser le niveau de sa vie ou renoncer à vivre. Guyau a prévu et indiqué cette difficulté, comme les autres, et il répond : « Le sacrifice même de la vie peut être encore, dans certains cas, une expansion de la vie, devenue assez intense pour préférer un élan de sublime exaltation à des années de terre à terre. Il y a des heures où il est possible de dire à la fois : je vis, j’ai vécu. Si certaines agonies physiques et morales durent des années, et si l’on peut pour ainsi dire mourir à soi-même pendant toute une existence, l’inverse est aussi vrai, et l’on peut concentrer une vie dans un moment d’amour et de sacrifice. » Cette doctrine est profondément juste, mais à la condition qu’on prenne la vie au sens psychique, non au sens physique, et même, dans le domaine psychique, il faut établir une hiérarchie entre les diverses manifestations de la vie, de manière à donner le premier rang à la volonté aimante, désintéressée, universelle. Il eût donc mieux valu, selon nous, sous l’idée de vie, retrouver celle de volonté, montrer que la volonté normale, radicale, est une volonté de l’universel, une volonté aimante, et enfin mesurer avec le plus de précision possible la valeur des actes à leur rapport avec cette volonté.

La conclusion à laquelle Guyau arrive, et qu’il exprime avec sa franchise habituelle, est la suivante : « Une morale positive et scientifique ne peut faire à l’individu que ce commandement : — Développe ta vie dans toutes les directions ; sois un individu aussi riche que possible en énergie intensive et extensive ; pour cela, sois l’être