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De même que la vie se fait son obligation d’agir par sa puissance même d’agir, elle se fait aussi sa sanction par son action même, car en agissant elle jouit de soi, en agissant moins elle jouit moins, en agissant davantage elle jouit davantage. « Même en se donnant, la vie se retrouve. Même en mourant, elle a conscience de sa plénitude ». La sanction, c’est le degré d’élévation dans l’échelle de la vie qu’un être atteint en agissant d’une manière qui le fait monter ou descendre : nous nous classons nous-mêmes, nous nous jugeons nous-mêmes par nos actions, et nous nous plaçons aussi nous-mêmes au rang qui nous appartient ; pas plus que l’obligation, la sanction n’est extérieure à la vie.

Cette morale de la vie intensive et extensive constitue, pour Guyau, la partie positive de la science des mœurs. Lui-même la présente comme ayant besoin d’être complétée par la spéculation métaphysique. À la juger en elle-même, on ne peut nier la part de vérité qu’elle renferme, et la force avec laquelle son auteur l’a établie. Nous aurions seulement voulu une analyse plus complète du principe même, qui est la vie. Guyau considère cette idée comme plus fondamentale et plus primitive que toutes les autres, que celles de mouvement, de pensée, et même d’existence, qui, à ses yeux, n’en sont que des extraits et des abstraits. Pourtant, du côté physique, la vie semble se réduire à un pur mécanisme ; du côté psychique, elle se ramène à une impulsion accompagnée d’une conscience plus ou moins obscure et d’un sentiment plus ou moins obscur. L’idée de vie nous paraît donc plus complexe et moins radicale qu’elle ne semble à Guyau. Par cela même, l’idée de la vie reste pour nous ambiguë, comme tout ce qui a double aspect. Dès lors, quel est l’aspect qui doit se subordonner l’autre ? Est-ce la vie physique ? Est-ce la vie mentale ? Selon Guyau, c’est la vie mentale, parce qu’elle réalise le maximum de l’intensité extensive. Alors se pose une question nouvelle : En quoi consiste l’intensité de la vie et comment pouvons-nous la mesurer ? Si la mesure est toute quantitative, il n’est pas certain que la vie la plus intensive coïncide toujours avec la plus extensive et la plus généreuse[1]. Le théorème sur la corrélation entre l’intensité et l’extension vitale est de la plus haute valeur : une force intense tend assurément à se répandre au dehors et à dominer les obstacles, mais Guyau n’a pas encore assez fait voir que la seule manière de se répandre soit d’être généreux et aimant. L’énergie vitale, et même psychique, peut se manifester par la domination sur les autres et leur emploi pour nos propres

  1. Voir, dans la Revue des Deux Mondes, notre étude sur les Transformations futures de l’idée morale.