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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

dans la variété, de la loi, conséquemment de l’universalité. » Mais le vrai intérêt et la vraie obligation s’attachent au fond, non à la forme. Or, le fond, ici, c’est la vie la plus intense et la plus extensive, le maximum de vie pour soi et pour autrui. — Mais pourquoi ce maximum est-il le plus haut des intérêts ? — Parce que la vie ne va pas sans une impulsion qui la fait tendre à son plus haut développement. Cette impulsion est la force même demandant à s’exercer, elle est la puissance tendant à l’action. « La conscience de l’obligation est donc avant tout, dit Guyau, la conscience d’une puissance, et d’une puissance féconde, débordante, qui, rencontrant des obstacles, réagit. Le devoir provient d’un pouvoir, est la conscience même d’un pouvoir plus ou moins contrarié. De là cette proposition de capitale importance : — « On a trop interprété jusqu’ici le devoir comme le sentiment d’une nécessité ou d’une contrainte ; c’est avant tout celui d’une puissance. » On se figure d’une part une loi formelle qui contraint, refrène, et d’autre part un libre arbitre, qui est la puissance à contraindre, à diriger. Selon Guyau, la loi ne fait qu’un avec la puissance même de vie intensive et extensive dont nous avons conscience, et la liberté est aussi cette puissance de vie prenant conscience de soi. Le devoir n’est alors que le pouvoir supérieur se maintenant contre les obstacles. « Le devoir est une expression détachée du pouvoir qui tend nécessairement à passer à l’acte. Nous ne désignons par devoir que le pouvoir dépassant la réalité, devenant par rapport à elle un idéal, devenant ce qui doit être, parce qu’il est ce qu’il peut être, parce qu’il est le germe de l’avenir débordant déjà le présent. C’est de la vie même et de la force inhérente à la vie que tout dérive : la vie se fait sa loi à elle-même par son aspiration à se développer sans cesse. Au lieu de dire : Je dois, donc je puis, il est plus vrai de dire : Je puis, donc je dois. »

Toutefois il y a dans l’obligation, outre l’élément impulsif, un élément intellectuel, une idée de rationalité. Comment ne semblerait-il pas rationnel à la vie d’atteindre son maximum pour soi et pour autrui ? L’idée même de ce développement supérieur, aussi grand qu’on peut le concevoir, est une force tendant à le réaliser. L’idée est même déjà la réalisation commencée de l’action supérieure.

Enfin, le troisième élément de l’obligation est le sentiment qui s’attache à l’idée de la vie la plus intensive et la plus extensive. Ce sentiment donne à nos plaisirs un caractère de plus en plus sociable et aboutit à la fusion croissante des sensibilités. « En vertu de l’évolution, nos plaisirs s’élargissent et deviennent de plus en plus impersonnels. Plus on ira, plus le cœur humain sera placé dans cette alternative se dessécher, ou s’ouvrir. »