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même principe de la vie, tout au moins la solution la plus rapprochée qu’il nous soit réellement possible d’atteindre sans nous faire illusion à nous-mêmes. Guyau répond affirmativement. D’abord, selon lui, la vie individuelle, au lieu de n’être sociale et sociable que par accident (comme dans l’utilitarisme épicurien et anglais), est sociale et sociable par essence. Ce qui résulte des limitations de la vie imposées par le milieu, par les nécessités extérieures, par les circonstances défavorables et hostiles à la vie, c’est précisément l’égoïsme ; ce qui résulte des tendances normales de la vie, de son intensité naturellement débordante, c’est l’altruisme ; si bien que toute vie intense, en prenant une vraie conscience de son intensité même et de sa direction normale, acquiert la conscience de son caractère social et sociable, de sa tendance vers autrui, de sa fécondité et de sa générosité. L’égoïste est celui qui ne vit pas d’une vie assez intense et qui n’a pas assez conscience du caractère essentiellement social de la vie individuelle.

Le théorème fondamental, pour le moraliste, c’est donc, selon Guyau, la loi de corrélation normale et générale qui existe entre le maximum d’intensité de vie individuelle et le maximum d’expansion sociale ou altruiste. Guyau donne à cette loi le nom de loi de fécondité morale, ou de relation entre l’intensité vitale et l’extension vitale. Il est bien clair que cette loi, dans la pratique, est souvent entravée, suspendue, parfois même intervertie en apparence ; mais encore une fois, selon Guyau, c’est là un résultat des circonstances du milieu et des limitations qui en résultent, et ce résultat peut devenir moins fréquent par le progrès moral et social, qui aboutit à une conscience croissante de la générosité naturelle à la vie.

La démonstration du théorème de la fécondité vitale contient deux sortes d’arguments, les uns objectifs et physiques, les autres subjectifs et psychiques. Objectivement, la vie ne peut acquérir une intensité interne supérieure sans acquérir par cela même une tendance supérieure à se répandre au dehors. « Au point de vue physique, c’est un besoin individuel que d’engendrer un autre individu, si bien que cet autre devient comme une condition de nous-même. La vie, comme le feu, ne se conserve qu’en se communiquant… Cela tient à la loi fondamentale que la biologie nous a fournie : « la vie n’est pas seulement nutrition, elle est production et fécondité. Vivre, c’est dépenser aussi bien qu’acquérir. » La reproduction, pour les physiologistes, n’est qu’un excès de nutrition et d’accroissement par suite duquel une portion de l’individu est érigée en un tout indépendant. Quand la génération devient sexuée, exigeant ainsi le