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FOUILLÉE.philosophes français contemporains

À ce moment arrivait pour lui l’époque de la pleine maturité, de celle qui se mesure non à l’âge, mais à la force du talent. Il avait quitté l’Océan pour habiter les bords de la Méditerranée. Ce séjour, plus chaud que les plages de Gascogne, lui laissera une sorte de répit, jusqu’à la trente-troisième année, — qui devait être pour lui la dernière. Un regain de force et d’espérance lui permettra d’entreprendre et presque d’achever la série projetée de grands ouvrages. Ce fut une période d’action incessante et de progrès continu qui commença alors. La Morale d’Épicure s’imprime, ainsi que la Morale anglaise contemporaine. Ensuite paraissent les Vers d’un philosophe et les Problèmes de l’esthétique. Puis vient l’Esquisse d’une morale, en attendant l’Irréligion de l’avenir, et enfin deux grands ouvrages : L’art au point de vue sociologique, et Éducation et Hérédité[1] Suivons l’infatigable chercheur en ses études philosophiques ; examinons ses efforts successifs pour compléter, dans le domaine moral, esthétique et religieux, la doctrine de l’évolution.

II. — L’Expansion de la vie, comme principe de l’art.

L’idée dominante que Guyau se proposait de développer et de suivre dans ses principales conséquences, c’est celle de la vie comme principe commun de l’art, de la morale, de la religion. Selon lui, — et c’est la conception génératrice de tout son système, — la vie bien comprise enveloppe, dans son intensité même, un principe d’expansion naturelle, de « fécondité », de « générosité ». Il en tirait cette conséquence que la vie réconcilie naturellement en soi le point de vue individuel et le point de vue social, dont l’opposition plus ou moins apparente est l’écueil des théories utilitaires sur l’art, la morale et la religion. À ses yeux, la tâche la plus haute du xixe siècle, celle à laquelle, pour sa part, il voulait contribuer, devait être précisément « de mettre en relief le côté social de l’individu humain et, en général, de l’être vivant », — côté qui avait été trop négligé par le matérialisme à forme égoïste du siècle précédent. En montrant cet aspect social de la vie individuelle, on fonderait tout ensemble sur une base désormais solide l’art, la morale, la religion digne de ce nom. Alors qu’il étudiait les utilitaires, il avait vu le xviiie siècle s’achever avec les théories égoïstes d’Helvétius, de Volney, de Bentham, correspondant au matérialisme encore trop naïf de La Mettrie et même de Diderot. Le xixe siècle a élargi la science. D’un côté, la matière s’est subtilisée toujours davantage sous l’œil du savant, et le mécanisme

  1. Ces ouvrages sont en cours d’impression.