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Noiré attache beaucoup d’importance, dans le développement du langage, à la vie en commun. Enfin, selon lui, la signification fondamentale des racines est celle d’une activité humaine, c’est-à-dire, en tenant compte de ce qui précède, d’une activité se déployant lors d’actions exécutées en commun. Steinthal consacre près de 40 pages à l’exposition et à la critique des théories de Noiré ; c’est trop, croyons-nous, pour ce qu’elles valent.

Vient ensuite un exposé très complet des idées de Wundt sur le langage. Les divergences entre Wundt et Steinthal sont peu considérables ; dans la conclusion cependant ce dernier reproche, entre autres choses, à Wundt de faire de la volonté une force transcendante, de la considérer comme étant tout, pensée et action. Peut-être le reproche est-il, quant au premier point tout au moins, exagéré, car Steinthal lui-même cite précédemment une phrase très nette de Wundt disant que la volonté, tout comme le souvenir, l’imagination, etc., n’est qu’une abstraction (p. 328).

Steinthal maintient, dans la conclusion, sa théorie de l’onomatopée ; on sait qu’il fait de l’onomatopée le principe le plus important de formation primitive des mots, mais en la prenant au sens d’onomatopée fondée directement, sur l’analogie de sentiment (c’est ce qui lui permet de parler d’onomatopée même quand il s’agit de l’expression de phénomènes visuels). Peut-être ferait-il mieux d’abandonner ce mot onomatopée qui signifie ordinairement toute autre chose que ce que Steinthal lui fait signifier. De plus, comment s’explique cette analogie des sentiments produits par tel son et, par exemple, telle impression visuelle ? D’autre part, il faut, dans la théorie de l’auteur, admettre à l’origine un certain nombre de sentiments spécifiquement divers pour expliquer la diversité des mots ; or, le sentiment, réduit à lui seul, ne paraît guère présenter que deux différences spécifiques, plaisir et douleur. Steinthal ferait bien peut-être en s’inspirant de Piderit, dont il cite l’ouvrage sur la Physiognomonie. Peut-être pourrait-il parler au sens propre de l’onomatopée en disant, comme Piderit, que certaines impressions visuelles, par exemple, évoquent des impressions auditives ; de même que certaines impressions visuelles doivent évoquer des impressions gustatives, sonores, pour que nous puissions leur appliquer des mots comme dégoûtant, criard (couleur criarde), etc.

L’auteur continuant de reproduire le jugement, qu’il a emprunté à Renan, sur la philosophie française du langage au xviiie siècle, nous lui signalerons le Traité de la formation mécanique des langues, par de Brosses (Paris, 1765, 2 vol. ) où se trouve déjà posé en principe de la façon la plus nette « que les germes de la parole ou les inflexions de la voix humaine, d’où sont éclos tous les mots des langages, sont des effets physiques et nécessaires, résultant absolument, tels qu’ils sont, de la construction de l’organe vocal et du mécanisme de l’instrument, indépendamment du pouvoir et du choix de l’intelligence qui le met en jeu » (p. xi).

B.