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soutenir, et sous l’empire d’une idée fixe, d’une opinion qui, acceptée après hésitation, ne cesse d’être attaquée dans sa citadelle. Voilà ce qu’on nomme un état mental chez les individus, un état social chez les nations. Tout état social ou mental suppose donc, aussi longtemps qu’il dure, un idéal. À la formation de cet idéal, que la morale défend et préserve, a concouru tout le passé militaire et industriel d’une société, et aussi tout son passé artistique. Or, l’art lui-même enfin a ses combats singuliers de thèses et d’antithèses. Dans chacun de ses domaines, à chaque instant, une école règne, qui affirme un genre de beau nié par quelque autre école.

Mais nous devons nous arrêter un instant pour insister sur ce qui précède. Pour le moment, nous ne considérons les faits sociaux qu’au point de vue logique, c’est-à-dire au point de vue des croyances, se confirmant ou se niant, qu’ils impliquent, et non des désirs auxiliaires ou contraires, qu’ils impliquent aussi. Ce serait là le point de vue téléologique dont nous dirons un mot plus loin, mais auquel nous n’accordons ici qu’un rôle secondaire. La difficulté est de comprendre comment des inventions, et aussi bien leurs agrégats, des institutions, peuvent s’affirmer ou se nier. Eclaircissons ce point une fois pour toutes. Une invention ne fait que satisfaire ou provoquer un désir ; un désir s’exprime par un dessein ; et un dessein, en même temps qu’il est un pseudo-jugement par sa forme affirmative ou négative (je veux, je ne veux pas), renferme une espérance ou une crainte, le plus souvent une espérance, c’est-à-dire toujours un jugement véritable. Espérer ou craindre, c’est affirmer ou nier, avec un degré de croyance plus ou moins élevé, que la chose désirée sera. Si, par hypothèse, je désire être député, désir développé en moi par l’invention du système parlementaire et du suffrage universel, c’est que j’espère le devenir en prenant les moyens connus. Et si mes adversaires me barrent le chemin (parce qu’ils croient qu’un autre les aidera mieux à obtenir des places désirées par eux, désir suscité en eux par l’invention ancienne ou récente de ces fonctions), c’est qu’ils ont une espérance nettement contradictoire. J’affirme que je serai probablement élu, grâce à mes manœuvres ; ils le nient. S’ils cessaient absolument de le nier, s’ils perdaient tout espoir, ils ne me combattraient plus, et le duel téléologique prendrait fin, ici comme partout, avec le duel logique, ce qui montre l’importance capitale de celui-ci. Des vagues d’espérance ou de crainte qui s’entrechoquent perpétuellement sous la surexcitation intermittente d’idées nouvelles suscitant des besoins nouveaux, qu’est-ce autre chose que la vie sociale ? Suivant qu’on prête attention au conflit, au concours des besoins, ou au conflit, au concours des espérances, on fait de la