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REVUE GÉNÉRALE.crise de la morale, etc.

mais pas si haut que M. Navarra. Il se contente de prendre pour point de départ de la pénalité, de l’instinct du châtiment, « le premier soufflet donné par le premier des pères, irrité, au premier des fils, désobéissant ». Mais, à regret, je me vois forcé de me séparer de lui ; car, si je le suivais partout où il promène son lecteur, je n’en finirais plus.

Pour un autre motif, je dois être bref aussi au sujet du beau livre que M. Émile Beaussire vient de publier sur les Principes du droit : il ne touche au droit pénal, en effet, que dans un de ses chapitres. Je laisse donc à d’autres le soin de louer comme il convient, dans l’ensemble de cette œuvre, la compréhension pénétrante, la profondeur claire de la pensée, et l’élévation simple du ton. Tout ce que je tiens à faire observer, c’est que le spiritualisme éclairé de l’auteur fait bon accueil aux nouveautés étrangères. Il « admire comme très ingénieuses les théories qui prétendent reconnaître des types héréditaires de criminels », il admet des délinquants-nés ; il concède aux aliénistes que « le vieux paradoxe de la folie universelle, si l’on en fait une question de degrés et de nuances, est bien près d’être justifié par les recherches de la psychologie contemporaine ». N’oublions pas d’ailleurs que l’école spiritualiste, autant vaut dire libérale, n’a pas attendu l’avènement du positivisme pour protester, par la bouche de M. Franck, contre la théorie de l’expiation donnée comme fondement aux peines, et pour proposer au législateur de substituer la responsabilité purement sociale à la responsabilité morale. Seulement les positivistes excluent celle-ci, parce qu’ils la nient ; les spiritualistes, tels que M. Lévy-Bruhl, par exemple, parce qu’ils la mettent trop haut pour ne pas la mettre à part. Il n’en est pas moins curieux de voir l’écrivain que je viens de citer, dans son Idée de la responsabilité, fonder le droit pénal sur l’utilité, à l’exclusion de l’idée de justice, par suite de son culte même pour cette dernière notion, et je ne puis me défendre de soupçonner dans cette thèse une inspiration du dehors. M. Beaussire n’admet pas d’ailleurs cette théorie utilitaire, et, à ses yeux, le droit de punir se fonde en quelque sorte (p. 131) sur le devoir d’être puni, conception très singulière à première vue et que l’on pourrait regarder comme un habile effort pour faire rentrer le droit pénal lui-même dans sa formule générale du droit considéré comme la garantie du devoir. Ce n’est pas du droit naturel, en effet, c’est plutôt du devoir naturel que part M. Beaussire dans sa critique des législations. En y réfléchissant, on trouve à cette manière d’entendre les rapports de la morale et du droit un grand fonds de vérité, et si on la compare à celle de M. Innamorati, on sentira le progrès de l’une à l’autre. La morale n’est plus au droit ce qu’un grand cercle est à un petit cercle intérieur, mais ce qu’une source est à son bassin. Ce point de vue, à mon avis, demanderait à être complété par des considérations qui montreraient que, si la morale individuelle est antérieure aux législations vivantes et leur sert de fondement nécessaire, elle a son origine sociale et non à proprement parler naturelle