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passion est légitime, non immorale, non contraire à la droite nature humaine, le degré d’indulgence que mérite le meurtrier.

L’espace me manque pour suivre dans ses délicates analyses psychologiques et dans ses excursions historiques M. Alimena. Son livre est une volumineuse et complète monographie que tous les criminalistes voudront connaître. Ils y trouveront le résumé de toutes les législations du globe sur le sujet traité, et une abondance d’informations statistiques dont je regrette de ne pouvoir donner des extraits. J’observe pourtant qu’ici plus qu’ailleurs les illusions d’optique arithmétique, pour ainsi parler, sont à craindre. En lisant, par exemple, que, en Allemagne, les homicides par cupidité sont trois fois plus souvent prémédités que simples, et les homicides par haine ou vengeance, au contraire, deux fois plus souvent simples que prémédités[1], il ne faut pas perdre de vue que, les meurtres cupides excitant bien plus l’indignation des parquets, on est plus souvent porté à leur appliquer la circonstance aggravante de la préméditation. En fait, il y a bien peu de meurtres volontaires, par amour même, qui ne soient pas prémédités, au moins conditionnellement. Le mari qui tue sa femme surprise en flagrant délit avait sans nul doute prémédité déjà de la tuer s’il la rencontrait avec un homme dans telle ou telle circonstance.

Le Devoir de punir, par M. Eugène Mouton, ancien magistrat, est un livre original. D’abord, ce qu’il y a de meilleur, c’est la tête et la queue, la préface et l’appendice : la préface, où l’auteur dénonce avec verve toutes les sources sociales de délit qui ont jailli à l’époque contemporaine et qui expliquent le débordement du fleuve criminel ; et l’appendice, où on lit l’intéressant compte rendu d’une mission scientifique faite en Suède et en Norvège par M. Mouton, au point de vue des résultats obtenus par le régime cellulaire dont il dit merveille. Il n’appartient, lui non plus, à aucune école, mais, en dépit de son originalité, il reste imprégné des traditions de l’ancienne ; il poursuit toujours cette pierre philosophale des fils de Beccaria, l’équation entre la peine et le délit. Malgré cela, il est sympathique aux anthropologistes criminels : « De telles recherches, dit-il, ne peuvent qu’être accueillies avec reconnaissance, puisque, touchant au point capital de l’imputabilité du délit, elles sont faites pour donner plus de puissance et de lumière au concours que la justice a toujours demandé à la médecine légale. » Il a retiré de sa longue expérience des parquets cette impression plusieurs fois répétée qu’il y a « des ressemblances effrayantes entre les criminels et les aliénés », comparaison que les membres du ministère public peuvent souvent faire quand ils ont des maisons de fous à visiter périodiquement dans leur circonscription. Les « souverains du royaume du mal » sont, suivant lui comme suivant nous, « l’imitation et l’hérédité ». Il aime aussi, en touriste amateur, à remonter aux origines,

  1. Une statistique de Quételet donne à peu près les mêmes résultats pour la France.