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REVUE GÉNÉRALE.crise de la morale, etc.

anglaises, le code de Malte et le code anglo-indien, cette distinction de l’homicide simple, du meurtre, et de l’homicide prémédité, de l’assassinat, n’est pas connue, mais elle est remplacée par une distinction encore plus déraisonnable, celle du manslaughter et du murder[1]. Il y a murder, c’est-à-dire assassinat, dans le sens anglais, d’après un jurisconsulte éminent de la Grande-Bretagne consulté par notre auteur (p. 61), quand un homme entre chez son voisin pour lui voler une poule, tire un coup de fusil destiné à ce volatile et par hasard atteint un homme : le caractère malicieux du mobile qui l’animait, le vol, suffit pour le rendre coupable de la forme la plus grave de l’homicide. N’est pas murder, en revanche, dans le code anglo-indien, l’homicide provoqué, l’homicide commis dans une rixe, et aussi la participation au suicide d’autrui pourvu que le suicidé ait atteint dix-huit ans. Quelle preuve plus forte du pouvoir inhérent à l’entraînement imitatif, que le fait de voir reproduite expressément par la jeune Amérique des États-Unis l’idée si bizarre de ranger sous le même vocable murder l’assassinat tel que nous l’entendons, l’homicide volontaire simple, et même l’homicide involontaire quand il est commis au cours d’un vol ou d’un autre petit délit quelconque ? Bien mieux, cette autre singularité de la législation anglaise que l’homicide est réputé murder jusqu’à preuve du contraire, énormité si opposée au libéralisme britannique, se reproduit dans presque tous les codes américains du Nord. — Or, quoique moins contraire à la raison, notre manière de graduer l’homicide est loin d’être satisfaisante elle-même. Comment se fait-il que l’idée si simple de faire consister l’aggravation du meurtre, non seulement dans sa délibération préalable, mais encore et surtout dans la nature des motifs sous l’empire desquels, délibéré ou non, il a eu lieu, ne soit venue à aucun législateur ? N’est-ce pas surprenant, quand on voit cette idée se présenter inconsciemment, mais régulièrement à l’esprit de tous les jurés, de telle sorte que, n’ayant nul égard en général au fait de savoir si le meurtrier a préconçu son crime, ils sont surtout préoccupés de connaître si c’est la jalousie, l’honneur, la vengeance ou la cupidité qui l’animait ? C’est pour redresser cette erreur législative que, d’accord ici avec la jurisprudence inconsciente du jury, les nouveaux criminalistes, M. Garofalo notamment, ont repris la thèse déjà ancienne de M. de Holtzendorff et mis en relief, au nom de la psychologie, la considération négligée et prépondérante des motifs. Ils ont montré ce qu’il y a d’énorme à voir dans la passion le contre-pied de la préméditation : d’ordinaire, la passion prémédite et la préméditation est passionnée. La durée de la préméditation pourrait souvent servir à mesurer l’intensité de la passion, c’est-à-dire, si cette

  1. Notons spécialement le code de 1870 pour le Panama, État de la Colombie. L’indulgence de ce code est, en outre, remarquable. L’homicide simple y est puni de 4 à 6 ans de réclusion, l’homicide prémédité de 6 à 10 ans au maximum. Ici un autre genre d’imitation s’est ajouté au précédent : le législateur s’est inspiré du libéralisme émollient qui régnait il y a vingt ans.