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doigt les liens étroits du vice et du délit. De ce tableau de notre corruption morale on pourrait rapprocher, parmi les publications italiennes, la Corruzione politica, de M. Colajanni, où l’auteur tâche de prouver historiquement que le wilsonisme n’est pas un chancre exclusivement inhérent au tempérament français ni à la forme politique de la France actuelle. Nos remerciements au savant sicilien.

Après avoir montré, trop succinctement, les progrès intrinsèques, pour ainsi dire, des nouvelles idées, il me reste à parler de leurs progrès extrinsèques. Ils sont de deux sortes. D’abord ils consistent dans cette diffusion au dehors dont témoigne, entre autres signes, la fondation récente d’une instructive Revista d’antropologia criminal à Madrid, sous la direction du Dr Alvarez Taladriz, qui va ensemencer et développer dans tous les pays de langue espagnole les germes d’idées apparus en France ou en Italie. Mais surtout ils consistent dans un autre genre de propagation plus cachée, par-dessus les murs des écoles adverses et non les frontières des États voisins, qui se manifeste par des symptômes significatifs, en Italie notamment, par le livre de M. Innamorati sur les Nuovi Orizzonti e l’antica scuola italiana et par celui de M. Alimena sur la Premeditazione[1], en France aussi, ce me semble, par le Devoir de punir de M. Eugène Mouton, et les Principes du droit de M. Beaussire. Jetons un rapide coup d’œil sur chacun d’eux.

M. Innamorati, professeur de droit pénal à Pérouse, appartient à l’école de Carrara, le dernier et le plus illustre héritier de Beccaria. Il en est fier ; il dit en parlant d’elle « l’école nationale » et il expose ses doctrines sur un ton de respect et de foi. Mais comme on sent bien qu’il se défend contre la séduction de l’hérésie ambiante ! Il s’excuse presque, au début, de ne pas s’être rallié à la nuova scuola, et il semble avoir pris la plume tout exprès pour en donner les raisons. Il s’efforce de prouver, en premier lieu, que les Pères de son Église, les Romagnosi, les Carmignani, les Carrara, ne se contredisent jamais sur le fond des dogmes ; mais, en second lieu, il tâche de montrer que les cadres de ses maîtres sont assez larges ou assez élastiques pour accueillir sans se rompre l’intrusion inattendue des nouveaux faits et même des nouvelles idées et se les assimiler. La voie de conciliation éclectique et hospitalière est sa note dominante. Est-ce que l’étude directe des délinquants ne peut pas se concilier avec l’étude abstraite des délits considérés comme « entités juridiques » dont les « ontologistes » du droit final classifient dans leurs tableaux synoptiques les espèces, variétés et sous-variétés ? Après tout, parce qu’on fait un cours de clinique dans les hôpitaux aux jeunes médecins pour leur faire connaître les malades, on ne se croit pas dispensé de leur enseigner à la faculté ce que c’est que la maladie. En droit civil, on n’a

  1. J’ajoute par la Pena di morte de M. Carnavali (Bocca, éditeur, Turin, 1888), livre où se montrent quelques côtés peu aperçus d’une question épuisée.