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sociaux » doivent être éliminés de diverses manières. D’ailleurs, la nature se charge en partie de cette œuvre d’assainissement ; les aliénés, les vicieux se cherchent, s’accouplent, et, par l’accumulation héréditaire de leurs anomalies, aboutissent promptement à la stérilité ; la dégénérescence court à l’impuissance.

C’est net et logique ; on pourrait dire : c’est raide. Mais, d’abord, est-il vrai que le criminel soit, physiologiquement, un dégénéré ? Je ne sais pas de plus beaux hommes que les tyrans et les condottieri italiens du moyen âge, souillés de tous les vices et de tous les crimes. La dégénérescence est à la race ce que la décadence sénile est à l’individu. Le vieillard décadent (tous les vieillards ne le sont pas) est caractérisé par cette faiblesse irritable qui est la meilleure définition des dégénérés. Il boit, il s’excite de toutes manières pour ranimer sa force éteinte, et n’atteint, par cette excitation factice, qu’un plus complet épuisement. Cependant voit-on cette déchéance s’unir en lui à une criminalité plus prononcée ? Voit-on des personnes, honnêtes toute leur vie, manifester des penchants au vol ou au meurtre à partir du moment de leur déclin ? Non ; on n’est même pas en droit d’expliquer par le ramollissement sénile la fréquence des attentats aux mœurs commis par les vieillards sur des enfants. En effet, n’est-ce pas toujours comme conclusion d’une vie de débauches qu’un vieillard se livre à ces excès punis par la loi ? Ses antécédents, plus que son affaiblissement, l’ont poussé à ce genre de crime. Si donc la vieillesse ne conduit pas au crime, pourquoi la dégénérescence y conduirait-elle ceux qui n’y seraient pas prédisposés par d’autres causes ?

Au demeurant, peu importe, et, cela fût-il admis, est-ce qu’il serait permis de confondre, au point de vue de l’imputabilité, d’une part, les dégénérés criminels avec les fous proprement dits, sous prétexte que les uns comme les autres présentent des anomalies, et, d’autre part, les uns et les autres avec les normaux, sous prétexte que les actes des seconds comme ceux des premiers sont déterminés, assujettis à des lois ? Je ne puis le croire. Cette double assimilation n’est légitime que si l’on persiste à faire reposer nécessairement la responsabilité morale, individuelle, sur le libre arbitre, suivant le préjugé traditionnel ; mais les conséquences mêmes auxquelles on est amené par là prouvent l’urgence de réformer cette antique notion. Si, au contraire, on donne pour fondement à la responsabilité l’identité personnelle[1], on reconnaîtra l’opportunité de distinguer avec soin le cas où une action, libre ou non, n’importe, est conforme au caractère inné de l’individu, et celui où elle lui est contraire. Dans le premier cas, l’individu en répond, parce qu’elle lui appartient ; dans le second, non. Or, qu’est-ce qui appartient plus exclusivement, plus véritablement à un homme que

  1. Je dis l’identité, en dépit de la diversité des actes. À travers les actions les plus hétérogènes, le caractère individuel, virtualité profonde, reste identique comme une formule algébrique à travers ses applications les plus dissemblables.