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REVUE GÉNÉRALE.crise de la morale, etc.

cence d’empoisonnements, toujours effectués à l’aide de poisons minéraux, mais surtout de l’arsenic, jusqu’à ce que la découverte par Marsh, en 1835, de l’appareil qui porte son nom, eût opposé une première digue à ce courant. Rejetés dès lors sur le phosphore, les empoisonneurs ont été dépouillés de cette nouvelle arme par l’appareil de Mitscherlich. Actuellement, leur nombre est fort diminué, mais on constate avec effroi que les substances d’origine végétale, dues aux découvertes de la chimie organique, commencent à prendre faveur parmi eux ; la digitaline, la strychnine, l’acide prussique, font leur entrée, et régneront jusqu’à l’apparition de nouveaux appareils propres à compléter les précédents.

Au premier rang des travaux français, il faut ranger — avec un article de M. Topinard sur l’anthropologie criminelle, publié dans la Revue d’anthropologie (15 nov. 1887)[1] et où l’hypothèse du crime-atavisme ainsi que celle du crime-folie sont vigoureusement combattues au profit de la thèse du type criminel considéré comme un type professionnel — la brochure de M. Féré sur Dégénérescence et criminalité dont les lecteurs de la Revue philosophique ont eu la primeur. M. Féré n’admet pas les types professionnels ; il combat également l’explication atavistique du délit, mais il adopte l’explication pathologique et lui prête le secours de son talent. Il se rattache non à Lombroso, mais à Morel. La criminalité native n’est à ses yeux qu’une des formes de la dégénérescence, et l’une des plus inférieures, car elle ne s’associe jamais au génie. Les « stigmates de la dégénérescence » observés chez tant de névropathes sont précisément ces traits défectueux du crâne, du visage et du corps que le professeur de Turin attribue au criminel-né : prognathisme, strabisme, asymétrie de la face, etc. Du reste, « en ce qui concerne les circonvolutions cérébrales, personne ne peut dire quelle est la forme normale » et « on ne peut, dans l’état actuel, établir aucune relation entre une anomalie cérébrale et la criminalité ou la folie ». En somme, le criminel est un fou, et M. Garofalo a fait de vains efforts, en niant la folie morale, pour établir une démarcation nette entre l’aliénation et la criminalité. Ceci posé, s’ensuit-il que le criminel doive être considéré comme irresponsable, ou même comme moins responsable que l’homme normal ? Nullement, car l’homme normal n’est ni plus ni moins libre que l’aliéné ; de là cette conséquence qu’il faut les considérer comme également irresponsables ou comme également responsables. Pour des raisons évidentes d’utilité, l’auteur se prononce en faveur de cette dernière opinion. En outre, « au point de vue social, on peut diviser les dégénérés en deux catégories : les improductifs et les destructeurs ». Les improductifs sont les paresseux, les infirmes, les malades ; les destructeurs sont les délinquants. Tous ces « déchets

  1. Cet accord de M. Topinard (j’ajoute de M. Manouvrier) avec les vues que j’ai exprimées il y a longtemps à ce sujet m’est d’autant plus précieux que cet auteur ne paraît pas en avoir eu connaissance ; car il me traite en adversaire, erreur qu’il a reconnue plus tard.