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REVUE GÉNÉRALE.crise de la morale, etc.

être considérée comme le principe de l’action défensive contre toute attaque, c’est-à-dire de la pénalité et non du délit ? — Autre petite observation, que je me hasarde timidement à formuler. Notre auteur reconnaît que l’anthropoïde ancêtre de l’homme a dû être peu féroce, peu criminel en somme, puisqu’il était frugivore comme le singe. Le singe a des habitudes patriarcales ; il vit bourgeoisement avec sa femme et ses enfants. Mais, s’il en est ainsi, est-on bienvenu, après cela, à nous présenter la férocité, l’immoralité, le crime, comme des phénomènes d’atavisme ? N’est-ce pas plutôt l’esprit de famille, l’amour conjugal, les vertus domestiques, qui devraient passer pour des cas de retour à la vie de nos antiques aïeux ? — J’observe aussi, et non pas seulement à propos de M. Navarra, un certain penchant, trop fréquent dans l’école évolutioniste, à se payer de distinctions vagues. « En gravissant l’échelle animale, nous voyons peu à peu se développer et se déterminer une série de bonnes actions ; de même, et plus aisément encore, nous voyons s’étendre et se précipiter une série d’actes mauvais. » D’autre part, on tient pour certain que les individus mauvais, les criminels, sont séparés des individus bons, qualifiés normaux, par tous les traits du corps, du crâne et du visage, voire même par le nez. Mais le malheur est que plus on s’efforce de préciser ce signalement anatomique des uns et des autres, plus se trouble et se brouille à nos yeux, dans cette grande crise de la morale dont j’ai parlé plus haut, la distinction du bien et du mal.

Ce n’est pas de ce côté, décidément, que l’école nouvelle peut espérer des progrès durables, et ses chefs commencent à le comprendre. M. Ferri, depuis qu’il est député, a fort bien su reconnaître, avec la souplesse et la netteté d’esprit qui le caractérise, l’orientation qu’il convenait de donner au vaisseau de sa doctrine pour le faire aborder au terrain des faits législatifs. Il est curieux de comparer Ferri législateur à Ferri conférencier ou théoricien ; trois hommes en un seul. Ce n’est pas qu’ils se contredisent précisément ; mais combien le dernier, en traduisant les deux autres dans ses discours à la Chambre italienne, les transpose habilement, les modifie et les simplifie ! Lisez, par exemple, ses discours, fort applaudis, des 26 et 28 mai 1888. Il est si loin, maintenant, de contester Tefficacité des peines qu’il attribue expressément la moindre criminalité de l’Angleterre, sa criminalité décroissante qui la distingue si avantageusement de tous les autres Etats, à sa sévérité répressive. — Il n’est plus question de type criminel, d’atavisme, de Darwin, fort peu de statistique même. « Un code ne saurait être le triomphe d’un école, d’une doctrine préconçue » ; l’homme d’État ne doit avoir qu’un but : « l’organisation légale de la défense des gens honnêtes contre les délinquants ». Rien de plus sensé, et, à la faveur de cet exorde, l’orateur fait passer une foule d’aperçus très justes sur la réforme pénitentiaire, devenue le vrai champ de bataille des théories pénales en Italie. Ferri n’est pas partisan du régime cellulaire ni de la peine de mort. — Dans ce même ordre pratique d’idées nous signalons