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anomalies sont, nous assure-t-on, d’origine atavistique. Le malheur est que, pour leur attribuer ce caractère, il faut chercher l’ancêtre de l’homme d’où elles proviendraient, bien au delà des primates, parmi les mammifères les plus inférieurs, les rongeurs. « Cela, dit l’auteur, qui a l’air de se féliciter de cette rencontre, donnerait raison à ceux qui, avec Albrecht et avec Benedickt (première manière), se fondant sur l’anatomie comparée, jugent l’homme de beaucoup inférieur aux singes et assez voisin des insectivores. » N’importe, il est instructif d’apprendre que les malfaiteurs ont 48 fois sur 100 le nez de travers, tandis que les normaux l’ont seulement 6 fois sur 100. Mais ce qui m’étonne bien davantage, c’est que les criminels en général, et les meurtriers en particulier, se font remarquer par la fréquence du nez rectiligne et long. Lombroso ne nous avait-il pas dit, cependant, que l’assassin avait surtout le nez aquilin ? La brochure de M. Ottolenghi n’en est pas moins une curieuse et instructive contribution à l’étude du type criminel, problème non résolu à la vérité, mais posé en termes de plus en plus précis. — Il y a moins d’anthropologie, et plus de psychologie, souvent même très fouillée, mais un peu délayée, notamment au sujet de l’invasion lente de l’idée homicide (p. 161 et suiv.), dans le volume que vient de faire paraître M. Rizzone Navarra, avocat, sous ce titre : Delinquenza e punibilita. Mais c’est tout à l’heure que j’aurais dû en parler, à propos des rééditions d’ouvrages publiées par les chefs de la nuova scuola. En effet, ce livre ne fait lui-même que les rééditer et sous une forme moins attrayante. M. Navarra est plus lombrosien que Lombroso. Comme M. Ottolenghi, il va loin dans ses excursions paléontologiques à la recherche des origines. Pour atteindre celles de l’homicide, il croit devoir remonter jusqu’à la dionée attrape-mouches, qui, paraît-il, toute plante qu’elle est, déploie une certaine astuce et montre même une animosité profonde contre l’insecte qu’elle pince entre ses feuilles (p. 10). La sensitive aussi, avec son irritabilité notoire, destinée à repousser tout contact, révèle un instinct criminel embryonnaire. C’est le germe qui, développé peu à peu, est devenu la criminalité humaine la plus monstrueuse. — Ainsi, voilà l’irritabilité vivante conçue comme le point de départ du crime. Vraiment, il est à regretter que le plus illustre et non le moins solide des criminalistes français — je veux dire Voltaire — ne puisse sortir un moment de sa tombe pour nous donner le spectacle de l’ébahissement que lui causerait une telle proposition. Je crains fort que le grand railleur ne se dédommageât sur M. Navarra, avec usure, des éloges prodigués par lui à Beccaria, son compatriote, et qu’il n’eût de la peine à voir dans Delinquenza e punibilita un arrière-rejeton naturel des Délits et des peines. Il se tromperait pourtant, et ces étrangetés ne sont point justiciables de son rire. Il y a bien quelque chose, au fond, dans les assimilations étonnantes de M. Navarra. Seulement, si l’on veut à tout prix expliquer les choses sociales par les vitales, le clair par l’obscur, ne semble-t-il pas que l’irritabilité des tissus vivants doit