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G. TARDE.la dialectique sociale

J’ai comparé la lutte logique à un duel. C’est qu’en effet dans chacun de ces combats pris à part, dans chacun de ces faits élémentaires de la vie sociale édités à d’innombrables exemplaires, les jugements ou les desseins en présence sont toujours au nombre de deux. Avez-vous jamais vu, dans l’antiquité, le moyen âge ou les temps modernes, une bataille à trois ou à quatre ? Jamais. Il peut y avoir 7 ou 8, 10 ou 12 armées de nationalités différentes, mais il n’y a que deux camps en présence, de même que, dans le conseil de guerre qui a précédé la bataille, il n’y a eu que deux opinions à la fois, en face et en lutte, à propos de chaque plan, à savoir celle qui préconisait et l’ensemble de celles qui s’accordaient à le blâmer. Il est visible que le différend, la querelle à vider, sur un champ de bataille, se résume toujours en un oui opposé à un non. Tel est, au fond, tout casus belli. Sans doute, celui des deux adversaires qui nie la thèse de l’autre (guerres religieuses principalement) ou qui contre-carre son dessein (guerres politiques) a bien sa thèse ou son dessein aussi ; mais c’est seulement en tant que négation ou obstacle, plus ou moins implicite ou explicite, direct ou indirect, que sa pensée ou sa volonté rend le conflit inévitable. Voilà pourquoi, par exemple, quel que soit dans un pays le nombre des partis politiques et des fractions de partis, il n’y a jamais, à propos de chaque question, qu’une dualité, celle du gouvernement et de ce qu’on appelle l’opposition, fusion de partis hétérogènes réunis par leur côté négatif. Eh bien ! cette remarque doit s’étendre à tout. Partout et toujours la continuité apparente de l’histoire se décompose en petits ou grands événements distincts et séparables qui sont des questions suivies de solutions. Or une question est, pour les sociétés comme pour les individus, une indécision entre une affirmation et une négation, ou entre un but et un obstacle ; et une solution, comme nous le verrons plus loin, n’est que la suppression de l’un des deux adversaires ou de leur contrariété. Nous ne parlons pour le moment que des questions. Ce sont vraiment des discussions logiques. L’un dit oui et l’autre dit non ; l’un veut oui et l’autre veut non. Dans la catégorie du langage ou de la religion, du Droit ou du Gouvernement, n’importe, la distinction du côté oui et du côté non est aisée à trouver.

Dans le duel linguistique élémentaire dont nous avons parlé plus haut, le terme ou la locution reçus affirment, et le terme ou la locution nouveaux nient. Dans le duel religieux, le dogme officiel affirme, le dogme hérétique nie ; comme plus tard, quand la science tend à remplacer la religion, la théorie admise est l’affirmation niée par la théorie nouvelle. Les luttes juridiques sont de deux sortes : l’une