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sentants de la conscience collective se pénètrent intimement, et la conscience de la société ou de la nation s’y reflète tour à tour à des degrés différents, suivant l’individualité des parties et suivant la structure de l’agrégat social.

De l’absence d’un sensorium social unique, Herbert Spencer croit pouvoir conclure « que le bien-être de l’agrégat considéré à part de celui des unités n’est pas une fin qu’il faille chercher. La société existe pour le profit de ses membres ; les membres n’existent pas pour le profit de la société. » Cette conclusion nous semble absolument contraire au mode de distribution de la conscience sociale que nous venons d’exposer. Nous admettons qu’il n’y ait pas de sensorium social unique comme le cerveau dans l’organisme individuel, mais qu’il y a dans le corps social des centres divers où s’affirme plus ou moins énergiquement la conscience sociale ; par conséquent, tous ces centres vivent les uns pour les autres et il n’est pas plus exact de restreindre l’existence de la société au profit de ses membres que l’existence de ses membres au profit de la société.

En réalité, le bien-être de l’agrégat et celui des parties sont deux fins également désirables qu’il convient de poursuivre en même temps. D’ailleurs, dans la plupart des cas, le développement de la prospérité sociale ne manquera pas d’accompagner l’accroissement du bien-être des individus, mais on conçoit des circonstances exceptionnelles où le bonheur des unités peut et doit être légitimement sacrifié à la conservation de l’ensemble, par exemple quand l’indépendance de la nation est menacée par une agression extérieure, et même dans certaines questions intérieures, où les considérations d’intérêt collectif doivent l’emporter sur les revendications de l’intérêt individuel.

Th. Ferneuil.