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FERNEUIL.nature et fin de la société

attendant, c’est un utile et salutaire arrangement qui leur commande de se plier sans raisonner aux conditions de la sphère sociale où la nature les a placés.

En effet, la vie même des adultes présente une foule de questions que l’individu a intérêt à ne pas trancher par ses seules lumières et pour lesquelles il se trouvera mieux de s’en rapporter aux avis des personnes plus compétentes et plus autorisées ; a fortiori, ceux qui entrent dans la société seraient-ils absolument incapables d’accomplir les actes les plus élémentaires de la vie sociale, si un heureux instinct ne les poussait à se laisser diriger par l’expérience et la sagesse accumulées de leurs prédécesseurs.

D’ailleurs, on s’imagine à tort que les facultés de l’entendement, que la conscience claire et réfléchie des choses constituent toujours les mobiles supérieurs et les guides les plus sûrs de la volonté. Très souvent, au contraire, l’impulsion obscure et inconsciente de l’instinct est susceptible d’atteindre un but beaucoup plus élevé, parce qu’elle ne porte pas uniquement, comme la réflexion, sur les réalités du moment, mais parce que les effets des actes antérieurs se sont comme résumés et transfusés en elle par voie d’hérédité.

Si les objections précédentes ne permettent pas de qualifier la société d’organisme contractuel, qu’est-ce donc qu’une société ? Une société est un organisme vivant, c’est-à-dire un consensus de parties dissemblables et solidaires, ayant pour fin commune de coopérer à la conservation de l’ensemble.

Les conditions de ce concours sont doubles : 1o les fonctions se partagent et se spécialisent entre les diverses parties, et leur interdépendance croît en raison de leur spécialisation ; 2o les parties se subordonnent toutes à un pouvoir central et supérieur qui remplit dans l’organisme social l’office hégémonique, comme le système nerveux central dans l’organisme individuel. Tandis que dans la conception abstraite de Rousseau et du contrat social la société se réduit à un agrégat d’unités individuelles, sans lien avec la collectivité, avec la vie de l’ensemble, ou à un être social absorbant et étouffant les unités individuelles, la sociologie moderne distingue parmi les parties intégrantes de la société trois éléments : 1o les individus ; 2o les associations d’individus ; 3o l’association plus large et plus générale de la nation, qui a pour organe essentiel l’État.

Elle sanctionne ici une nouvelle analogie entre l’organisme individuel et l’organisme social. « En effet, comme le remarque très justement M. Fouillée, dans l’être animé comme dans le corps social, il y a des fonctions laissées à l’initiative des individus ; d’autres, à l’ini-