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Mais, répliquent les partisans du contrat social, nous n’avons jamais soutenu que la nature de cette convention fût identique à celle des contrats ordinaires. Nous reconnaissons parfaitement que le contrat social sanctionne des obligations embrassant des objets et une durée indéterminée, et se distingue par cela même de tous les autres contrats définis par les codes. C’est un contrat d’une portée plus générale, plus étendue, plus universelle que les autres ; mais il n’en reste pas moins un contrat en bonne et due forme, auquel participent volontairement tous les membres du corps social.

Nous essayerons de réfuter l’objection en montrant d’abord qu’il y a incompatibilité de fait entre ce qu’on appelle le contrat social et un contrat ordinaire ; puis que, fût-elle possible, l’adhésion réfléchie et volontaire des individus au pacte social entraînerait moins d’avantages que leur adhésion spontanée et obligatoire au corps social où ils se rattachent par droit de naissance.

Il faut se rendre bien compte des conditions dans lesquelles se réalise le prétendu contrat social. Ce n’est pas seulement à l’âge adulte, mais au moment même de leur naissance, de leur entrée dans la société, que les membres sont censés donner leur signature au contrat. Or, s’il est déjà difficile d’admettre que des hommes faits, suffisamment développés au physique et au moral pour avoir une conscience claire et réfléchie de leurs actes, puissent adhérer en connaissance de cause à un contrat dont les clauses stipulent des obligations indéfinies quant aux objets et quant à la durée, comment oserait-on prétendre que ce contrat soit soumis à des êtres nés de la veille, dont la conscience et l’intelligence se réduisent à l’instinct et aux tendances héréditaires ?

On n’aurait guère de peine à prouver que même entre les individus majeurs il n’existe pas de contrat social, c’est-à-dire que ces individus subissent une foule d’obligations imposées par les coutumes du passé ou par les lois du présent, par les habitudes de leurs devanciers ou les mœurs de leurs contemporains ; et un pareil contrat se réaliserait entre des enfants que le hasard a fait naître dans tel ou tel agrégat social, et que leur constitution physique et mentale condamne pendant les premières années de leur existence à un état de complète dépendance envers le groupe auquel ils appartiennent !

Les obligations qu’accepte implicitement, en venant au monde, chaque membre du corps social, n’ont donc pas un caractère contractuel, mais simplement traditionnel. Plus tard, quand les individus auront acquis la plénitude de leur développement et atteint l’âge d’homme, ils se réserveront la faculté de les discuter et, s’il y a lieu, de les modifier, de les adapter aux exigences du milieu ; mais, en