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FERNEUIL.nature et fin de la société

semble de conventions limitées quant à l’objet et quant au terme des obligations imposées par les clauses du contrat. Par exemple, un contrat civil entre deux individus, analogue au contrat de vente, d’échange, de louage, d’ouvrage, ne s’applique qu’à des actes particuliers de la vie sociale, et ses obligations cessent avec les personnes qui y ont pris part. Un contrat de société conclu pour l’exploitation d’une entreprise industrielle ou commerciale, pour un but scientifique, charitable ou religieux, embrasse déjà des objets plus variés et une durée plus longue. L’association créée par le contrat ne disparaît pas avec les personnes qui l’ont constituée, et, après leur mort, leurs successeurs ont la charge d’accomplir les obligations imposées à l’être social par la teneur du contrat.

Dans le contrat social et politique qui constitue la société et l’État, nous voyons encore s’accroître l’étendue et la durée des obligations. Ce n’est plus à un acte spécial ou à quelques actes restreints que s’applique le contrat, mais à une multiplicité extrême de manifestations de la vie collective, telles que la sûreté publique, la garantie des libertés personnelles, la protection du territoire, des intérêts nationaux contre l’étranger, le développement économique, intellectuel et moral de la nation. L’étendue même de ces obligations fait qu’elles s’imposent, non seulement à une ou plusieurs générations, mais à une série indéfinie de générations qui doivent accepter l’héritage de leurs prédécesseurs.

Herbert Spencer a très nettement aperçu cette gradation dans la permanence, proportionnelle à l’extension des divers agrégats sociaux : « Une maison de commerce qui date de plusieurs générations et qui continue encore les affaires sous le nom de l’homme qui l’a fondée, a vu tous ses membres et ses employés changés l’un après l’autre, et même plusieurs fois ; néanmoins elle n’a pas laissé d’occuper la même place et de conserver les mêmes rapports entre les acheteurs et les vendeurs. Partout nous retrouvons ce caractère. Les corps gouvernants généraux et locaux, les corporations ecclésiastiques, les armées, les institutions de tout ordre, même les corporations, les cercles, les associations philanthropiques, etc., nous montrent la durée de la vie sociale continuant au delà de celle des personnes qui les composent. Ce n’est pas tout : la même loi s’applique aux parties qui composent la société ; leur durée se trouve dépassée par celle de la société en général. Les associations privées, les corps publics locaux, les institutions nationales secondaires, les villes où fleurissent des industries particulières peuvent dépérir, tandis que la nation, conservant son intégrité, évolue dans sa masse et dans sa structure. » (Principes de sociologie, tome II, p. 14.)