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Voir dans une pareille formation le résultat d’un contrat en forme et d’une volonté délibérée, c’est singulièrement dénaturer le sens des mots de volonté et de contrat. Aussi M. Espinas nous semble-t-il réfuter victorieusement la thèse de M. A. Fouillée dans le passage suivant de ses Études sociologiques en France : « Comment peut-on appeler volontaire un acte qu’on n’a ni le pouvoir ni même l’idée de ne pas accomplir ? Tant qu’on les emploie dans leur sens « propre, le vouloir suppose le choix, et le choix, la conception des deux termes d’une alternative comme possibles. Qui ne dit mot consent, qui consent veut, dira-t-on ; mais, si l’adhésion de l’immense majorité des membres d’une société est dite volontaire au même titre que l’adhésion des cellules à leur organisme natal et de la cellule au cristal, il est tout aussi vrai de nommer l’une et l’autre involontaires. Involontaires seront aussi au même titre tous les actes de la vie sociale, envisagés au point de vue organique et fonctionnel, qui n’avaient été précédés d’aucune délibération éclairée. La volonté par laquelle l’immense majorité des membres d’une nation demeurent unis et maintiennent le pacte fondamental, nous paraît précisément de cette sorte, et nous persistons à croire que, si pour la masse populaire la possibilité d’une sécession était offerte à chaque heure, même après les dettes payées et les obligations remplies, et que l’on fût mis en demeure de choisir, il n’y aurait bientôt plus de nation. »

M. Fouillée reconnaît bien que chaque citoyen naît, de fait, dans un État déjà formé, et avec des engagements implicites à l’égard de ses concitoyens ; mais la vraie question, selon lui, est de savoir « si l’État idéal ne serait pas celui où l’individu une fois majeur ne trouverait rien qui lui fût imposé par force, pas même le lien national ; l’État où il pourrait rester et d’où il pourrait, toutes dettes payées et toutes obligations remplies, sortir à son gré. »

L’erreur capitale de M. Fouillée consiste à envisager comme l’idéal ce qui serait la négation même et la ruine de la notion de l’État ; car, si la nationalité et l’État impliquent avant tout la continuité des efforts accomplis par les membres du corps social en vue du bien public, comment une faculté de sécession reconnue à chaque individu pourrait-elle constituer la fin suprême de l’État ? Comment l’impossibilité matérielle de déterminer le quantum des dettes à payer et des obligations à remplir par chaque citoyen, ne suffirait-elle pas déjà à transformer cette faculté de sécession en une pure utopie ?

La nature même de l’idée du contrat semble d’ailleurs incompatible avec l’assimilation des sociétés humaines à un organisme contractuel. En effet, au sens juridique du mot, le contrat suppose un en-