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FERNEUIL.nature et fin de la société

les doctrines du Contrat social. Ainsi M. A. Fouillée, dans son récent ouvrage La science sociale contemporaine, essaye de rapprocher l’ancienne méthode a priori et l’école historique, de concilier Rousseau avec Sumner Maine et Herbert Spencer, en qualifiant la société d’organisme contractuel.

Le livre de M. Fouillée prouve la ténacité de l’influence des doctrines de Rousseau sur les contemporains. À dire vrai, l’auteur présente cet organisme contractuel moins comme une réalité actuelle que comme un idéal ; mais, quand il définit la société « un système d’idées, un organisme qui se réalise en se concevant et en se voulant lui-même », M. Fouillée n’en confesse pas moins ses préférences pour la méthode déductive en sociologie. « À quel moment, dit M. Fouillée, un ensemble d’hommes devient-il une société au vrai sens du mot ? C’est lorsque tous les hommes conçoivent plus ou moins clairement ce type d’organisme qu’ils pourraient former en s’unissant et lorsqu’ils s’unissent effectivement sous l’influence déterminante de cette conception. On a alors un organisme qui existe, parce qu’il a été pensé et voulu, un organisme né d’une idée, et, puisque cette idée commune entraîne une « volonté commune, on a en définitive un organisme contractuel. » (Science sociale, page 115.)

Si cette théorie était exacte, bien peu d’agrégats sociaux mériteraient le titre de société, car nous ne voyons guère dans l’histoire les groupes d’êtres humains s’associer et s’unir sous l’influence d’une idée et d’une volonté arrêtées. Les bandes et les tribus primitives qui se rangeaient spontanément, moitié par terreur, moitié par respect, autour d’un chef et obéissaient au conducteur de la communauté, sans aucune conception ou volonté déterminantes, ne présentaient-elles pas cependant le caractère de véritables sociétés humaines ?

Sans doute, parmi les sociétés modernes, la conscience et la volonté ont une plus grande part dans l’accession des individus à un groupe quelconque, famille, peuplade ou nation ; l’individu se rend mieux compte de la vie commune et trouve, dans une organisation sociale moins rigide, plus de facilité pour se rattacher à telle ou telle communauté.

Mais les peuples même qui ont rompu délibérément les liens avec leur patrie de naissance pour constituer, sur un autre territoire, un autre corps de nation, comme les États-Unis d’Amérique, ont dû s’organiser d’après le type préexistant de la communauté primitive, et transporter sur leur sol d’adoption la plupart des institutions et des mœurs appartenant à la souche ethnique dont ils s’étaient détachés.