Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVI, 1888.djvu/377

Cette page n’a pas encore été corrigée
367
BOURDONl’évolution phonétique du langage

les phénomènes suivants : la contamination, dont il a déjà été parlé ; les étymologies populaires qui se ramènent à l’analogie ; exemples : lait d’ânon pour laudanum, en allemand umgewendter napoleon pour unguentum neapolitanum, etc.[1] ; la métathèse, ex. fromage pour formage, mha. kokodrille pour crocodilus[2] ; l’assimilation de sons non voisins comme quinque de pinque ; la dissimilation, comme dans pelegrinus de peregrinus et les nombreuses formes verbales redoublées τίθημι, πέφευγα, etc. ; Paul considère aussi comme dissimilation la chute, amenée par la contiguïté d’une articulation ou d’une syllabe semblable, d’une des deux articulations ou syllabes ainsi contiguës, ex. ἔκπαγλος, de πλήσσω, semestris pour seminestris, etc. L’explication de ces changements est difficile, d’autant plus qu’ils sont généralement accidentels. On se saurait admettre qu’ils correspondent à quelque tendance naturelle des organes, quoiqu’ils aient aussi leurs conditions phonétiques, comme lorsqu’il s’agit de la dissimilation d’l en r. Peut-être quelques-uns des exemples qu’on peut donner de métathèse, d’assimilation et de dissimilation se ramèneraient-ils à des phénomènes déjà connus, c’est-à-dire à des lois phonétiques ou à des formations analogiques : ainsi le q de quinque se rattacherait peut-être à celui de quattuor en même temps que le q de la fin du mot pouvait lui-même agir régressivement sur le commencement du mot[3]. Une métathèse qui probablement se ramène à une analogie, c’est, dans la Manche, iersi pour sarcler, sans doute d’après hersi (herser)[4]. Quant à la dissimilation, il ne semble pas davantage qu’elle tienne à quelque loi naturelle de notre activité, témoin les nombreux cas où elle ne se produit pas ; beaucoup de dissimilations s’expliqueraient peut-être par une différence dans l’accentuation, ainsi les dissimilations existant dans les verbes grecs. En tout cas, la signification n’a rien à voir directement avec les phénomènes précédents.

X

Essayons de dégager de ce qui précède les idées générales qui y sont développées. On voit d’abord que le langage est aujourd’hui avant tout étudié comme un phénomène d’articulation, c’est-à-dire comme un phénomène physiologique. On en a fini, il faut l’espérer, avec les anciennes théories qui faisaient du langage une sorte d’être

  1. Schleicher, Die deutsche Sprache, p. 116.
  2. Paul, Principien, p. 59.
  3. Cf. en béotien π au lieu de τ dans πέτταρες, πέτταρα peut-être d’après πέντε (G. Meyer, Gr. Grammatik, p. 376).
  4. i = cl se retrouve également dans ió = clos, iaque = claque, etc.