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bre de formes primitives peuvent amener toute une série de formations nouvelles analogues. Ainsi des formes latines peu nombreuses, comme nasutus, cornutus, verutus, astutus, hirsutus, etc., ont fait naître en espagnol, en italien, en portugais, en français un nombre assez grand d’adjectifs en udo, uto, u, etc., comme barbuto, barbu, etc.[1]. À cette objection on peut répondre d’abord qu’il suffisait que les formes primitives, quoique peu nombreuses, fussent usuelles ; Ascoli en ce sens a raison théoriquement de prétendre que βέλτατος, φέτρατος, φίλατος ont pu contribuer beaucoup à généraliser le suffixe -τατος ; ces trois superlatifs en effet, dont le sens est le meilleur, le plus fort, le plus cher, devaient être très employés[2]. D’ailleurs il faut ajouter encore que la liaison ferme entre deux phénomènes psychologiques ou entre un phénomène psychologique et un mouvement peut ne pas venir uniquement de la répétition, mais tenir aussi à l’intérêt que présente l’idée, par conséquent le mot qui l’exprime ; et tel était probablement le cas pour les adjectifs ci-dessus en -utus ; quelques-uns en effet, comme nasutus, cornutus, expriment des idées plus ou moins risibles ou frappant l’imagination. On peut comparer à ce propos certaines formes du français actuel qui sont très prolifiques, comme veinard, flêmard, etc.

Les lois de la plupart des analogies sont donc, d’après ce qui précède, les lois mêmes de l’habitude. De là un critérium pour juger de la vraisemblance d’une explication par l’analogie : il faut ou que la forme qui est censée avoir servi de modèle fût fréquente ou qu’elle signifiât une idée intéressante. On doit d’ailleurs reconnaître que la découverte des causes ultimes d’une formation analogique est parfois aussi difficile que celle des causes ultimes d’une loi phonétique. Ainsi pourquoi a-t-on dit aimons plutôt que ame, lève que lievons ? Parfois la simplification analogique se produit dans des directions différentes suivant les dialectes. En moyen haut-allemand le pluriel de ich fand était wir funden ; en nouveau haut-allemand on a la simplification wir fanden ; en bas-allemand, au contraire, chez Fritz Reuter, on trouve hei funn, wi funnen[3]. Ou encore il arrive que la simplification a lieu dans un dialecte et n’a pas lieu dans l’autre[4]. La conclusion à tirer de ces faits, en tout cas, c’est que des causes d’une ténuité extrême ont dû agir ici, comme lorsqu’il s’agit des lois phonétiques. Après les lois phonétiques et l’analogie, citons enfin rapidement

  1. Osthoff u. Brugman, Morphologische Untersuchungen, p. 82 et suiv.
  2. Cité par Misteli, Lautgesetz u. Analogie, p. 414.
  3. Behaghel, Die deutsche Sprache, p. 72.
  4. Ibid.