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BOURDONl’évolution phonétique du langage

voyelle précédente, ait été prononcé avant raison, on pourrait dire que l’o a été nasalisé dans raison parce que l’on antérieur de ce mot était analogue à l’o nasalisé de maison. Il n’y a pas de différence essentielle notamment entre l’analogie phonétique et la conservation par un homme ou un peuple qui vient à parler une langue nouvelle de son accent primitif ; on peut dire qu’un Français prononce, par exemple zi, pour l’Anglais the, parce que the est analogue à zi ; on peut même ajouter qu’il a vaguement conscience de cette analogie. Il est encore à remarquer que l’analogie phonétique, par cela même qu’elle porte aussi sur une seule articulation ou un petit nombre d’articulations, non seulement ne tient pas compte du mot dans son entier, mais en exclut la considération ; si donc se transforme en a par l’effet d’une analogie phonétique, tous les devront éprouver le même changement, puisque leur place au milieu de telles ou telles autres articulations n’importe pas. L’analogie phonétique ne peut guère qu’amener par conséquent ou plutôt qu’étendre une loi phonétique. Il faut excepter le cas peu fréquent où la simplification est occasionnée par le voisinage constant des deux mots renfermant des articulations analogues. Il n’y a donc pas intérêt, en résumé, à distinguer l’analogie phonétique des lois phonétiques ; elle est une loi phonétique occasionnée par l’action sur une articulation d’une autre articulation analogue et plus familière. Tout au plus convient-il de faire cette réserve que la loi phonétique peut produire quelque chose d’entièrement nouveau, tandis que l’analogie phonétique ne fait que ramener certaines articulations à d’autres déjà existantes.

Viennent ensuite les analogies fondées sur le sens. Misteli reconnaît, il est vrai, qu’il est extraordinairement difficile d’en découvrir[1]. On en comprend aisément la raison. L’analogie dont nous nous occupons est celle qui change un simple élément du mot ; or le sens s’attache au mot tout entier. De plus, si, après coup, on peut retrouver une analogie de sens entre une forme et une autre qu’on suppose avoir agi sur elle pour la modifier, il est invraisemblable que cette analogie de sens soit la première chose qui se soit présentée à la conscience de celui qui parlait. Ainsi Misteli cite comme dû à une analogie de sens avec ὑμεῖς l’esprit rude de ἡμεῖς. En admettant une certaine analogie métaphysique de sens entre nous et vous, on pourrait cependant faire observer que, pour le vulgaire, ces idées sont très différentes, presque opposées. De plus, il ne faut pas oublier qu’il s’agit toujours ici de phénomènes phonétiques, c’est-à-dire ne ressemblant nullement en général aux idées qu’ils signifient ; c’est

  1. Misteli, loc. cit., p. 434.