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IX

Après les lois phonétiques, le phénomène le plus important que reconnaissent actuellement les linguistes est l’analogie, c’est-à-dire ce fait que l’on a transformé en français les primitifs amons, lieve, etc., en aimons, lève, etc., d’après l’analogie des formes comme aime, levons, etc., qu’aujourd’hui l’on entend quelquefois dire vous faisez, vous disez, etc., pour vous faites, vous dites. Peut-être ce mot analogie est-il mal choisi, parce qu’il désigne uniquement le rapport objectif existant entre les mots qu’on considère[1]. Il vaudrait mieux, semble-t-il, se servir, par exemple, de l’expression : simplification analogique. On indiquerait ainsi à la fois le rapport objectif mis seul en relief par le mot analogie et de plus le résultat de l’opération qui se passe dans nos organes.

La division la plus complète que nous connaissions des analogies, au point de vue qui nous occupe, est celle qui en reconnaît trois espèces 1o les analogies purement phonétiques ; 2o les analogies reposant sur le sens ; 3o les analogies formelles[2].

C’est une question de savoir s’il peut exister des analogies purement phonétiques. Misteli, à qui est empruntée cependant la division ci-dessus, ne veut pas en reconnaître de telles d’une manière absolue. Schuchardt au contraire cite comme exemples d’analogies purement phonétiques les mots pietra, ruota, qui ont pris un i et un u d’après les modèles viene, buona, etc. Au fond, la difficulté n’est pas d’admettre des analogies purement phonétiques, elle est de les distinguer des lois phonétiques. En effet, si l’on ne tient compte pour définir une analogie que de l’analogie phonétique existant d’abord et objectivement entre les mots sur lesquels l’action simplificatrice dont il a été question plus haut s’exerce, les lois phonétiques impliquent elles-mêmes de telles analogies : rota, analogue phonétiquement à buona, devient ruota ; de même pourrait-on dire, en supposant que maison, à l’époque où l’n commençait à se fondre avec la

    -être est-il à craindre qu’il ne soit en conséquence tenté d’exagérer ces variations individuelles dont il parle. De plus, il exclut par hypothèse toute idée de dialectes rigoureusement uniformes, ce en quoi d’ailleurs on sera plutôt porté à lui donner raison que tort.

  1. On appelle d’ailleurs souvent le phénomène d’autres noms, comme association de formes, Formübertragung, etc., mais qui ne valent guère mieux. Un terme préférable, c’est le mot allemand, également usité, Ausgleichung, égalisation.
  2. Schuchardt, Ueber die Lautgesetze, p. 8 ; Misteli, Lautgesetz u. Analogie, in Zeitschrift für Völkerpsychologie, Bd. XI, 4. Heft, p. 433 et suiv.