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tout entière à laquelle ce mot appartient. Ainsi les conditions phonétiques pour é, dans le mot mécanique, ne sont pas les mêmes si le mot est pris seul que s’il vient après un autre mot qui a un è ; dans ce dernier cas, l’é de mécanique est exposé à devenir plus ou moins ouvert ; ainsi en lisant père, mécanique, on prononcera peut-être l’é de mécanique ouvert. Il ne faut pourtant pas s’exagérer la difficulté sur laquelle il vient d’être insisté ; les influences normales et sensibles que subit une articulation sont celles des articulations voisines, et, d’ailleurs, autant de phrases, autant de mots nouveaux dont les influences sur le mot considéré se contrebalancent. Tout peut donc se ramener pratiquement, sans crainte d’erreur appréciable, à tenir compte simplement des influences que l’articulation qu’on étudie peut éprouver de la part de celles qui l’entourent immédiatement et à la définir en conséquence. Cela fait, on a raison de compter à peu près sur la constance des lois phonétiques, dans un dialecte suffisamment fermé.

L’objection la plus sérieuse qu’on puisse faire à la formule ci-dessus, c’est qu’en réalité, indirectement, il est encore d’autres conditions ou même des causes que, sans en avoir l’air, elle spécifie ; elle postule notamment la connaissance des liens ethnologiques ou sociaux existant entre les individus qui ont éprouvé le changement, ou, si l’on aime mieux, elle postule la délimitation exactement faite du territoire occupé par la langue ou le dialecte étudiés. Or une telle délimitation, comme nous l’avons déjà remarqué, ne peut jamais être faite qu’approximativement ; la langue française, par exemple, n’est nullement uniforme, les patois qui la composent le sont, pris chacun à part, un peu plus, mais sont encore eux-mêmes néanmoins une simple collection de sous-patois ; la langue d’un individu quelconque est plus uniforme encore en moyenne, sans l’être jamais complètement. Bref une grande société se résout en petites sociétés et celles-ci en individus, et ces sociétés comme ces individus diffèrent les uns des autres. Ce qu’il faut pourtant reconnaître, c’est qu’entre les langages comme entre les mœurs de ces sociétés et individus il y a à côté des différences des ressemblances, et ce serait précisément une question très intéressante, dont l’étude éclairerait peut-être sur les causes des changements linguistiques, de se demander pourquoi tel changement, par exemple la suppression de l’n consonne en français à la fin des syllabes, est devenu uniforme sur une grande partie du territoire français, tandis que d’autres sont restés limités à la Picardie, à la Normandie, etc.

Nous ferons encore, au sujet de la formule de la constance des lois phonétiques, les réserves de détail suivantes. Une extrême répétition