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principale particularité du système phonétique hollandais cht pour ft (lucht luft, etc.) fait souvenir également du celtique, compar. irlandais secht, sept[1]… » On a aussi voulu voir une influence celtique générale dans l’habitude que nous avons prise en France d’accentuer la dernière syllabe des mots[2].

Il faut ajouter maintenant que les influences ethnologiques ne constituent rien de spécifique. D’abord elles se réduisent en partie à des influences sociales : c’est par exemple le prestige qu’avaient auprès d’eux les vainqueurs qui a amené les Gaulois vaincus à adopter la langue des Romains. Quant aux modifications que les Gaulois firent subir à la langue latine, elles s’expliquent par leurs habitudes de prononciation antérieure et la persistance de ces habitudes là où le son romain était assez analogue au son gaulois pour que ce dernier pût suppléer, sans trop surprendre et éveiller la conscience, celui-là. Les Gaulois ont, pour ainsi dire, en apprenant le latin, gardé leur accent.

Existe-t-il d’autres causes de changements phonétiques qui ne puissent être en quelque manière rattachées aux précédentes ? Y a-t-il en particulier des causes purement individuelles, des cas de changement phonétique vraiment individuel et spontané ? À cette question il est impossible de répondre, comme il est impossible de dire s’il y a jamais eu ou non des cas de génération spontanée. En fait nous constatons que certains hommes ont des vices particuliers de prononciation, mais on peut dire que les altérations anatomiques qui en sont cause ont elles-mêmes eu leurs causes. Le problème est ici le même que celui de l’individualité humaine. Si on prend cette individualité comme donnée, sans vouloir l’expliquer, il y a également des changements individuels donnés et qu’on peut diviser en deux catégories : ceux qui n’ont qu’une existence passagère et ceux qui durent et en particulier résistent à l’action de la société. Les premiers sont sans importance et, d’ailleurs, plus difficiles encore à expliquer que les seconds. Ceux-ci pourront être la cause de changements analogues chez autrui, si l’homme chez qui ils se produisent exerce une influence considérable sur son entourage ; ainsi, si le père a une manière particulière de prononcer, sa famille prononcera comme lui[3].

  1. Ascoli, Sprachwissenschaftliche Briefe, p. 22 et suiv. — Ont encore signalé les influences ethnologiques, d’après Ascoli (id., p. 43, note) : Schuchardt, Miklosisch, Hasdeu, Nigra, Ebel.
  2. G. Paris, Rôle de l’accent latin, p. 33.
  3. L’auteur de cet article connaît une famille ayant de petits enfants qui, en parlant, chantent la phrase d’une manière particulière ; or la mère chante de même en parlant ; ces enfants ne ressemblent d’ailleurs pas physiquement à leur mère.