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BOURDONl’évolution phonétique du langage

VII

Une seconde catégorie de causes, ce sont les influences ethnologiques. Par influences ethnologiques, il faut entendre celles qui ont lieu quand un peuple emprunte la langue d’un peuple voisin. Dans ce cas, il est probable que le peuple en question fera subir à cette langue qu’il emprunte certaines modifications particulières. Supposons que les Français se mettent à parler allemand comme nos ancêtres les Gaulois se sont mis autrefois à parler latin, il est probable qu’ils transformeraient le ch ou le g dur allemands en r ou en k et le ch ou g doux en k ou en ch ; qu’ils diraient, par exemple, bouk ou bour pour livre, ik ou iche pour je ; inversement, si les Allemands se mettaient à parler français, ils transformeraient nos voyelles nasales en des sons correspondant aux sons allemands ang, eng, etc., dans lange, Menge, etc. Ascoli s’est beaucoup occupé de ces influences ethnologiques. Il s’est attaché, par exemple, à montrer comment des influences celtiques sont reconnaissables dans les transformations que le latin a subies sur le territoire de la Gaule. Un argument en faveur de sa théorie est d’abord tiré par lui des faits que nulle part le latin n’a subi des modifications aussi profondes qu’en Gaule. Comme argument plus particulier, il cite, par exemple, la substitution dans toute la Gaule, cisalpine aussi bien que transalpine, de l’u français au latin u (prononcé ou). En faveur de l’origine celtique de cet u, il indique : 1o la preuve « chorographique », savoir le fait que le changement s’est produit à la fois en France, dans la zone ladine et sur les territoires franco-provençaux et gallo-italiques, c’est-à-dire par toute la Gaule ; au contraire il n’apparaît ni en Espagne, ni dans l’Italie non celtique, ni en Roumanie ; 2o la preuve « interne », qui consiste à montrer que les modifications qu’ont subies les formes latines sur le territoire gallo-romain se retrouvent dans le développement historique de la langue même des Celtes ; 3o la preuve fondée sur « la concordance extérieure » ; ainsi nous voyons ü sortir de u (ou) dans un dialecte allemand, le hollandais, de la même manière qu’en gallo-romain. Grimm songeait là à une influence de la langue française voisine. Ascoli au contraire incline à y voir une influence plus reculée de la langue celtique elle-même et rappelle à ce sujet « que la

    que l’école italienne a dépassé le point de vue des néogrammairiens en ce sens qu’elle se pose, ce que ces derniers font rarement, la question des causes des changements phonétiques. — Contre la théorie de l’influence du milieu physique, voy. quelques remarques dans Gröber, Grundriss der romanischen Philologie, p. 234.