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toutes les langues, par conséquent n’expliquant les particularités d’aucune, quelles conditions particulières nouvelles doivent s’ajouter qui puissent expliquer les différences que deux langues sœurs présentent vis-à-vis l’une de l’autre ? Ainsi d’où viennent les différences que nous constatons entre les diverses langues romanes ou entre les diverses langues indo-européennes ?

Une idée qui semble venir naturellement à tout le monde, c’est que ces différences tiennent, au moins en partie, au milieu physique, c’est-à-dire à la différence de température, d’élévation au-dessus du niveau de la mer, d’état hygrométrique, etc. Il est possible que cette hypothèse contienne quelque part de vérité. Tout le monde a pu remarquer par exemple que les cordes vocales vibrent moins facilement, qu’il est plus difficile de chanter par un temps froid et humide que par un temps chaud et sec ; ce fait peut servir à expliquer l’ampleur et l’intensité des voyelles chez les gens du Midi, l’abondance au contraire des consonnes chez les gens du Nord. Il faut, d’autre part, pour parler, que les poumons et la poitrine chassent de l’air vers la bouche. Les modifications dans la parole peuvent donc en partie aussi dépendre de modifications survenues dans l’inspiration et l’expiration ; on pourrait, en conséquence, s’attendre à des phénomènes phonétiques différents, selon que l’on considérerait un peuple de montagnards et un peuple habitant les bords de la mer, soumis à une pression atmosphérique élevée, inspirant une quantité en poids plus grande de gaz à volume égal. Pour appuyer cette hypothèse de l’action du milieu physique sur les langues, Osthoff fait remarquer qu’au Caucase, par exemple, des peuplades voisines, non originellement parentes, les Arméniens et les Iraniens (qui sont des Indo-Européens), et les Géorgiens et d’autres (qui ne le sont pas), ont développé presque le même système de voyelles et de consonnes. Il faut rattacher au même ordre d’idées la théorie, émise par Ascoli[1], de lignes « isothermes » dans les changements phonétiques. « L’explosive sourde, telle que nous la rencontrons, dit-il, à Milan et encore à Florence, incline déjà à Rome en général plutôt vers l’explosive sonore ; elle y incline davantage encore à Naples, où, par exemple, la liaison nt devient véritablement nd ; nous ajouterons que nd issu de nt existe également en grec et en albanais, et nous conclurons de là qu’il s’agit d’un changement phonétique isotherme (Archivio glottologico, VIII, 113), autrement dit qu’en des zones et chez des races déterminées les cordes vocales se mettent plus aisément à vibrer. »

  1. Archivio glottologico, X, 22, et Sprachwissenschaftliche Briefe, p. 107. — Ascoli ne veut pas être appelé un néogrammairien, quoique à vrai dire sa méthode en linguistique soit la même que celle des néogrammairiens. Il déclare