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BOURDONl’évolution phonétique du langage

les[1]. » Même des peuples tout entiers se distinguent par leur manière d’écrire. Mais si l’instinct d’imitation produit de tels résultats dans l’écriture, combien l’action exercée par l’imitation ne sera-t-elle pas plus grande dans le parler ? À partir du jour où l’enfant commence à bégayer, il subit l’influence des autres, les imite inconsciemment. « Le langage de l’enfant qui grandit devient de jour en jour plus semblable à celui des parents et des habitués de la maison[2]. » Cette même tendance à l’uniformité se produit entre les habitants de la même ville et du même village. Et ainsi les diversités individuelles dans le parler ne peuvent guère se produire ou doivent se trouver réduites à un minimum.

Le phénomène ici signalé n’est pas douteux. On sait qu’un enfant, élevé dans un certain milieu, s’habituera inconsciemment à parler comme on parle dans ce milieu. On peut ajouter encore qu’il est impossible d’expliquer autrement que par l’imitation ou une action sociale pourquoi les divisions linguistiques, à beaucoup d’égards, coïncident avec les divisions politiques. Quiconque a vécu à la campagne sait que deux villages voisins peuvent parler d’une manière assez différentes, quoique les conditions de race et de milieu physique soient dans les deux cas les mêmes. On peut faire remarquer encore comme une preuve de l’action sociale que, à conditions organiques très inégales, néanmoins, dans un même milieu social, se maintient une identité assez grande dans le langage chez les vieillards, les femmes, les enfants. C’est là ce qui autorise, en partie au moins, le maintien de la vieille division en dialectes, à laquelle on a proposé parfois de substituer une division fondée sur la considération exclusive des processus phonétiques, lesquels, dit-on, sont souvent les mêmes pour des dialectes voisins. Un argument encore en faveur des actions sociales, c’est celui qu’on peut tirer de la marche progressive de la plupart des changements phonétiques constatés. Il ne se produisent pas sur toute la surface d’un pays à la fois, mais se répandent peu à peu comme une croyance ou une mode[3].

VI

Nous allons aborder maintenant l’étude des causes elles-mêmes des changements phonétiques. Voici la question qu’il faut résoudre : étant données les conditions précédemment étudiées, communes à

  1. Das physiologische und psychol. Moment., p. 20.
  2. id., p. 21.
  3. On voit, par ce qui précède, que les actions sociales peuvent servir à expliquer la généralisation, sur tout un territoire, d’une manière particulière de parler. Mais elles n’expliquent nullement pourquoi quelqu’un a d’abord parlé ainsi.