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Paris comme ouvrier et vit sur les boulevards extérieurs, il manque rarement aussi de se mettre à parler la langue gutturale, aux sons fêlés, de ce monde des boulevards extérieurs. Les influences sociales les mieux connues sont celles qu’exercent les classes riches et puissantes sur les classes pauvres, les individus estimés ou admirés sur ceux qui les estiment ou les admirent, les gouvernants sur les gouvernés, etc. Ces influences sociales s’exercent à la fois positivement et négativement, positivement en poussant les pauvres et les faibles à prendre pour modèle les riches et les forts, négativement en amenant tout ce qui se croit aristocratie à protester contre tout ce qui sent le peuple et la grossièreté démocratique ; par exemple, un aristocrate prend plus nettement conscience de la manière dont il prononce lui-même quand il entend un homme du peuple prononcer autrement à côté de lui. Une influence sociale extrêmement sensible est, en France, celle qu’a exercée notre centralisation politique et littéraire sur les dialectes locaux. Il ne faut d’ailleurs pas se faire ici d’illusion sur l’individualisme humain et croire que des influences sociales, même du genre des précédentes, ne sont pas capables d’amener, sur un vaste territoire, des résultats uniformes. On n’a qu’à considérer comment une mode, dans le costume, se généralise non seulement à la France, mais à toute l’Europe ; une religion peut se répandre dans tout un peuple. Il semble que ce soit l’imitation du parler parisien qui amène peu à peu aujourd’hui dans le reste de la France l’habitude de prononcer partout au et o brefs, ainsi dans mauvais, côtelette, etc. On peut donc admettre que ces actions sociales, d’ordre relativement supérieur et superficiel, sont capables de modifier uniformément tout un peuple[1].

Mais il existe d’autres influences sociales, plus profondes, difficiles à remarquer et qui agissent d’une manière plus uniforme encore. Une de ces influences est celle qui résulte de ce qu’on appelle l’instinct d’imitation[2]. Osthoff cite à ce propos la manière dont les enfants à l’école se forment, sous la direction d’un seul et même maître, une même écriture. « On a également remarqué, dit-il, que des contrées et provinces tout entières, pendant une même génération, ont essentiellement la même écriture. Le fait peut s’expliquer principalement par ceci, c’est qu’il n’y a le plus souvent qu’un ou quelques séminaires pour fournir la contrée d’instituteurs ; presque tout ce qu’il y a d’écrit se ramène dès lors dans le pays à un petit nombre de modè-

  1. Ch. Schuchardt, Ueber die Lautgesetze, p. 14 et suiv.
  2. L’instinct d’imitation s’exerce évidemment aussi dans les actions sociales supérieures.